Vers un bureau fédéral des affaires religieuses ?


Et la laïcité, alors ?

Actuellement, en Suisse, les relations entre l'Etat et les "communautés religieuses" sont du ressort des cantons, qui ne sont en réalité tenus que de respecter des prescriptions constitutionnelles de l'ordre du principe : la liberté religieuse, la liberté de conscience, la liberté d'expression, la liberté d'association. Pour le reste, ils se débrouillent, les uns (pas beaucoup) par une laïcité partielle, les autres par un confessionnalisme atténué Un groupe de travail a cependant été mis en place par le Département fédéral de Justice pour étudier la création d'un bureau fédéral des affaires religieuses, qui serait une sorte de "point de contact entre la Confédération, et ses services (la justice, la police, le service de renseignement, l'immigration, la lutte contre le racisme), les cantons et les communautés religieuses". Quelles "communautés religieuses" ? Toutes ? Et sinon, en les distinguant comment les unes des autres, selon quels critères, définis par qui ? Il existe déjà un "Conseil suisse des religions", qui en fait ne réunit que les représentants des trois grandes religions monothéistes (le christianisme, le judaïsme, l'islam), qui estime qu'un bureau fédéral des affaires religieuses lui serait d'une "grande aide" pour préserver la "paix religieuse en Suisse". La "paix religieuse", pas la laïcité. On s'en serait douté, notez bien.


Assumer le pluralisme, refuser la division


Question qui fâche (ne serait-ce que parce qu'elle égare) : Doit-on "reconnaître l'islam" ? Si on demande cette reconnaissance à  la société, il n'y a aucune raison de la refuser puisque l'islam est là, présent, dans la société. Mais si cette reconnaissance est demandée à l'Etat, la réponse doit, évidemment, être "non" : l'Etat n'a pas plus à "reconnaître" l'islam, ni d'ailleurs à  le proscrire, qu'il ne devrait avoir à  reconnaître, ou à  proscrire, n'importe quelle autre religion.
Le président du Parti socialiste suisse, Christian Levrat, qui considère que "nous avons besoin d'un débat de fond sur la place de l'islam en Suisse", estime que dans un tel débat, la "réflexion devrait porter sur la reconnaissance de l'islam comme religion officielle"... mais qu'est-ce que c'est que ce concept de "religion officielle" ? La dernière chose à faire si on veut défendre la laïcité, c'est de demander à l'Etat de faire un tri entre les religions, ou de les organiser lui-même.

De ce point de vue (le nôtre, donc le juste et le bon, forcément), l'heureuse démarche de l'ancien ambassadeur du Kosovo en Suisse, le Genevois Naïm Malaj, est à saluer : choqué par l'épisode des deux élèves de Bâle-campagne refusant de serrer la main de leur enseignante, il a pris l'initiative de proposer aux Albanais musulmans de Suisse (90 % des 300'000 Albanais de Suisse, mais dont seuls un sur dix est réellement pratiquant) de signer, d'eux-mêmes, sans que nulle autorité les y contraigne une charte pour la laïcité, la transparence financière et la formation civique. Charte signée hier à Berne par les présidents de la Communauté islamique albanaise de Suisse et le président de l'Union des imams albanais, et qui reconnaît la laïcité comme "principe fondamental de fonctionnement d'une société moderne et démocratique", place l'Etat de droit au-dessus de "toute raison de nature religieuse", encourage les centres culturels et religieux à participer et à mettre en place "des formations sur l'éducation civique, la démocratie et les institutions suisses", et à pratiquer une "transparence financière totale". Un engagement qui rompt avec la situation dans laquelle se complaisent plusieurs des 250 institutions et lieux de cultes islamiques en Suisse, à commencer par la Mosquée de Genève, la plus grande su pays (sans pour autant qu'elle dépasse la taille d'une église moyenne...), sous la coupe d'une fondation de 13 membres, dont huit Saoudiens (dont le Consul du royaume à Genève), dont les quatre personnes qui disposent du droit de signature au nom de la fondation. C'est l'Arabie saoudite wahabite qui a financé la construction de la mosquée genevoise, fourni le capital de la fondation (15 millions de francs) et c'est la Ligue islamique mondiale, un pseudopode de l'Arabie Saoudite, qui nomme les membres du Conseil de fondation, dont le président est, de droit, le secrétaire général de la Ligue. Et les deux imams de la mosquée ont été formés à Medine. Et diverses enquêtes journalistiques signalent que "la mainmise des Saoudiens" sur la Mosquée de Genève s'est accompagnée de sa fréquentation par de jeunes "islamistes radicaux", dont au moins deux sont partis djihadiser en Syrie. La proximité idéologique du wahabisme, du salafisme et du djihadisme est évidemment à prendre en compte, même si le wahabisme, fondamentalement conservateur, prône non un bouleversement des sociétés non musulmanes, mais la séparation, au sein de celles ci, des musulmans du reste de la société. Or une société se construit sur ce qui rassemble les sociétaires, pas sur ce qui les divise. Et comme toute société est désormais pluraliste, y compris religieusement- qu'elle l'admette ou non, les diverses religions et irréligions qui y cohabitent sont un facteur de pluralisme, jusque dans la vie quotidienne. Tout l'enjeu est donc d'assumer ce pluralisme tout en refusant la division sociale. Une démarche comme celle des Albanais de Suisse y concourt, des pratiques comme celles des Saoudiens et de la "Ligue islamique mondiale", certainement pas.

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