Fonds de tiroir


On n'était pas très nombreux, jeudi, à soutenir Nekane Txapartegi sur la Place Neuve (et en cortège ensuite), mais on était quand même une bonne centaine -la « question basque » n'a jamais mobilisé grand monde dans nos contrées, du moins depuis la chute du franquisme. Neka Txapartegi, c'est cette militante basque, féministe et indépendantiste, ancienne conseillère municipale du parti Herri Batasuna, arrêtée sur l'accusation d'avoir collaboré avec l'organisation indépendantiste armée ETA (qui samedi dernier a livré ses stocks d'armes à la police française), torturée, violée, condamnée sur la base d'aveux extorqués précisément sous la torture, réfugiée en Suisse, mais à qui non seulement la Suisse a refusé d'accorder l'asile politique, mais à qui elle a fait l'injure d'autoriser son extradition en Espagne, précisément là où elle avait été torturée, avec pour seul argument que l'Espagne est un pays ami, qu'un pays ami ne nous ment pas, et que l'Espagne dément les accusations de torture de Nekane. Les avocats de Nekane ont fait recours contre le refus de lui accorder l'asile et l'acceptation de la demande espagnole d'extradition. On va donc pouvoir constater jusqu'où la Suisse est prête à s'abaisser pour complaire à un « Etat ami », ou si elle est disposée à respecter sa propre prétention à être une terre d'asile et un Etat de droit ne remettant pas les victimes de tortures à leurs bourreaux. Restons optimistes. Mais vigilants.

Il y a deux mois, une soixantaine de gardiens de la prison de Champ-Dollon (à Genève, donc, au cas où la célébrité de la geôle ne serait pas suffisante pour que vous la situiez) manifestaient devant la prison. Ils manifestaient pour quoi, pour qui, contre qui, les gardiens de Champ-Dollon ? Ils manifes-taient leur soutien à leur directeur, Constantin Franziskakis. C'est beau, des employés qui manifestent leur soutien à leur directeur, non ? Ben non, pour le Département de la Sécurité et de l'Economie (le département de Supermaudet, tutelle de la prison et de son directeur), c'est pas beau. Vu que le soutien des gardiens à leur directeur, il s'inscrit dans le conflit entre le directeur de la prison et le directeur général de la Pénitentiaire, Philippe Bertschy, et fait suite à la mutation du premier. « Ejecter le compétent pour sauver l'arro-gant », résument les gardiens. Et ça a pas plus à l'arrogant et à son ministre. Qui du coup ont décidé de lancer une procédure disciplinaire contre les gardiens (y compris à leur représentant syndical) et, pervers, de confier au directeur que les gardiens soutenaient la tâche de mener, dans le caadre de la procédure disciplinaire, les entretiens avec ceux qui risquent d'être sanctionner parce qu'ils le soutenaient. Vous suivez ? Des gardiens qui manifestent leur soutien à leur directeur, ça devrait réjouir la tutelle, pourtant. Ouais, mais des gardiens qui soutiennent leur chef, ça plaît pas au chef du chef, et au chef du chef du chef, quand le chef est en conflit avec son chef soutenu par son superchef (on vous laisse mettre les noms). Bref, on est bien à G'nêêêve...

Le 2 avril dernier, le match de foot de deuxième ligue amateur entre le FC City et le SG Benfica, au stade des Libellules, à Vernier, a dégénéré en bagarre générale, après une altercation entre deux joueurs : coups de tête, de poings, de pieds, intervention de la police, des blessés, une plainte... « Quel exemple pour les enfants», se désolait l'entraîneur du SG Benfica... ben, un exemple instructif, confirmé une semaine plus tard, à Carouge : une rixe entre supporters du Servette et de Xamax a fait deux blessés et provoqué l'intervention de la police, qui a interpellé 33 personnes. Dix d'entre elles ont été interdites de stade dans toute la Suisse. Voilou, c'était notre rubrique épisodique, quoique récurrente : « le sport, école de civilité »...

Comme on commence à le savoir, le MCG et la politique culturelle, ça fait au moins deux. A Carouge, le MCG a fait aboutir un référendum contre la recons-truction du Théâtre, acceptée par le Conseil municipal par 25 voix contre 5, avec à la clef une dépense prévue de 24 millions (sur les 54 que coûteraient les travaux, le solde étant assumé par le canton, les communes gene-voises et des privés). C'est trop cher, clame le MCG. Qui plaide pour une rénovation. Qui ne coûterait pas forcément moins cher, mais qui n'offrirait pas au Théâtre de Carouge les nouvelles possibilités que lui offrirait sa reconstruction. Mais bon, hein, le théâtre, c'est un truc d'intellos gauchistes, faut investir dans le sport, là au moins on cultive les vraies valeurs. Non, on rigole, là... Enfin, nous, on rigole, mais le MCG, lui, il y croit, à ces conneries.

La droite genevoise a toujours eu Jean-Jacques Rousseau en travers du groin, on le sait. Et elle a de la suite dans les idées. En tout cas dans celle là : aujourd'hui, elle (le PLR en tête) menace de priver la Maison Rousseau et de la Littérature, installée dans la maison natale du Citoyen de Genève (40 Grand-Rue) des moyens de son fonctionnement. Modestes, les moyens (500'000 francs par an) au regard du budget de la République (dans les 8 milliards). Modestes, mais attribués à une institution que le PLR perçoit comme un nid de gauchistes (genre Manuel Tornare et Guillaume Chenevière) faisant indûment concurrence à la vieille Société de Lecture, nid, elle, de descendants des grandes familles du coin (même si Lénine y avait pris sa carte de lecteur). La Maison Rousseau, qui déjà organise des cycles de conférences, un parcours biographique et littéraire de Jean-Jacques, et qui est le coeur du festival littéraire « La Fureur de Lire », a en plus le culot d'avoir des projets et d'avoir trouvé près de 5 millions de francs de financement privé pour se transformer et restaurer sa vieille  (400 ans d'âge) maison. Elle veut ouvrir au public ses six étages, renouveler son public, se doter d'un café, refaire la scénographie de l'espace Rousseau, et propose d'accueillir, dans deux studios, des écrivains en danger dans leur pays. L'aide du canton se monterait à 385'000 francs en 2019, mais serait intégralement compensée par des réallocations de ressources au sein du Département de l'Instruction publique et de la culture. Une paille, donc, et même une paille ne coûtant rien. Mais voilà : c'est le résultat d'un transfert de compétences de la Ville au canton qui énerve le PLR, qui y voit -à tort- un cadeau fait à la Ville. Certes, le canton prendrait à sa charge la politique du livre et de l'édition, mais la Ville, elle, prend (notamment) à sa charge financière tout le domaine théâtral. Autrement dit, la Ville ne gagne rien, financièrement, à cette répartition des compétences. Mais peu importe aux groumeurs du PLR : c'est Rousseau (et la droite a toujours préféré Voltaire), et c'est la Ville (et elle est de gauche). Alors on chipote. Bêtement. Bon, Rousseau, lui,. s'en fout, il se promène solitairement ailleurs, et de toute façon, avec Genève, on ne peut pas dire que ses rapports aient été spécialement amicaux. Il était fier de sa ville et d'en être citoyen, beaucoup moins de ceux qui la gouvernaient. Qui l'ont condamné, ont brûlé ses livres et dont apparemment, les descendants ont hérité des vieilles rognes. Ce qui d'ailleurs ne saurait que nous rendre Jean-Jacques encore plus sympathique.

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