Hamenchon et Mélhamon sont dans un bateau


Le Valls a mis le temps

Pour la gauche, l'élection présidentielle française est d'ores et déjà perdue. Du moins en tant qu'élection -en tant qu'étape d'une indispensable recomposition politique, c'est autre chose. Mais même dans l'hypothèse du retrait de l'un ou l'autre des deux principaux candidats de gauche (et lequel, en fonction de quel critère ? les sondages ?), ce camp ne pourrait rêver mieux qu'une troisième place.
Après s'être éreintés pendant des mois pour être candidats, avoir déjà, l'un et l'autre, claqué pour leur campagne des millions qu'ils ne se feront rembourser que s'ils obtiennent 5 % des voix et donné plus que l'impression, la certitude, que ni l'un, ni l'autre n'ont la présidence de la République pour objectif, mais la recomposition de la gauche, peut-on vraiment croire, à trois semaines du scrutin, que l'un (mais lequel ? Hamenchon ou Mélhamon ?) se retirera pour l'autre ? Que Hamon, pris dans le "casse-noix" (l'expression est méluchienne) entre le marteau de droite (Macron) et l'enclume de gauche (Mélenchon) fera à Valls (qui a mis le temps pour se décider à se rallier à Macron) le cadeau de se retirer pour Mélenchon ? Que Mélenchon fera à ce qu'il reste du  PS le cadeau de se retirer pour Hamon ? Et pour faire quoi ensuite du PS (ou de ce qui en restera) ?


Avant d'entamer la construction de la VIe République, la France ne pourrait-elle pas finir la construction de la Ière ?

A quoi va ressembler le PS d'après la présidentielle et les législatives ? Et que deviendra la "France Insoumise" de Méluche ? elles pourraient être passionnantes, l'après-présidentielle et l'après-législatives -un peu comme le fut la recomposition de la gauche au début des années septante du siècle dernier -ce n'est pas si vieux qu'on ne puisse s'en souvenir, se souvenir notamment que le candidat du PS, Gaston Deferre, n'avait alors obtenu que 5 % des suffrages quand celui du PC, Jacques Duclos en obtenait 21 %, que ni l'un, ni l'autre n'était présent à un deuxième tour où s'opposèrent un candidat de droite (Pompidou) et un candidat du "centre" (Poher)... et que deux ans plus tard, Mitterrand prenait le PS d'assaut, s'y installait avec le concours de la gauche du parti (le Ceres de Chevènement, Motchane et Sarre) et des deux barons (Deferre et Mauroy) des deux grandes fédérations SFIO (le Nord et les Bouches-du-Rhône) et le mettait sur la route vers le pouvoir... Ce PS issu du congrès d'Epinay est une sorte de "grande coalition de la gauche non communiste", un rassemblement des contraires -d'où le culte de la "synthèse" qui s'y est célébré pendant quarante ans. C'est ce parti qui est en train de mourir sous nos yeux, mais il n'y pas plus de contradictions entre Valls et Hamon qu'il y en avait entre Chevènement et Rocard. C'est le temps qui n'est plus à leur conjugaison dans un seul parti politique, et peut-être va-t-on, après la présidentielle et les législatives vers la scission du PS en deux partis distincts, comme aux Pays-Bas : un parti social-démocrate, travailliste (qui s'est gaufré aux législatives il y a deux semaines) et un parti socialiste (qui s'y est à peu près maintenu). Bref : l'après-Hollande pourrait bien être hollandais. Amusant, non ?

Valls soutient Macron ? La belle affaire... Les soutiens à Macron vont des communistes Robert Hue et Patrick Braouzec au chrétien-social François Bayrou en passant par les Verts François de Rugy et Daniel Cohn-Bendit, les socialistes Delanoë et Le Drian et une foultitude d'autres, de Renaud à Comte-Sponville -alors pourquoi pas Valls ? tous usent du même argument : éviter un deuxième tour se résumant au choix impossible entre Le Pen et Fillon. Et donc voter pour celui qui a le plus de chances de battre d'abord Fillon (que le soutien de Valls à Macron requinque en lui permettant de faire de Macron le dauphin de Hollande), puis Le Pen. Cet objet du "vote utile", c'est Macron, dont la victoire est l'hypothèse sur laquelle travaillent tous les partis existants, y compris ceux dont le candidat  ou la candidate font de Macron leur adversaire désormais prioritaire, le "tous contre Macron" prenant la place du "tous contre Le Pen"). Macron n'est pas de gauche ? Et alors ? Valls est un traître ? Mais un traître à qui, à quoi ? On ne peut trahir que soi-même et c'est à soi-même qu'on doit être fidèle, et aux gens qu'on aime. La fidélité à un parti, un Etat, un chef, ne relève ni de la morale, ni de l'éthique. Juste de la discipline -et c'est peu de chose : "trahir" un parti, un Etat, changer de camp, ce n'est que de l'opportunisme. Il paraît qu'il en faut, en politique. Et de cela il y a des maîtres, et pas toujours ceux à qui l'on pense derechef : Lénine y côtoie François Mitterrand... comme disait Clémenceau, si celui qui quitte mon parti pour un autre parti est un traître, celui qui quitte un autre parti pour rejoindre le mien est un converti.

Faire barrage à Le Pen, c'est la justification donnée par Valls, Delanoë, Le Drian et tous les autres, à leurs ralliements à Emmanuel Macron. A défaut de sincérité, ça a de la logique : Un deuxième tour contre Fillon (qui utilise la ralliement de Valls à Macron pour présenter Macro comme un "Hollande bis", et se présenter lui-même comme le seul candidat de l'"alternance" -alors qu'il est politicien professionnel depuis 35 ans et qu'il a été Premier ministre...), c'est tout ce que peut souhaiter Le Pen, et c'est sa meilleure chance d'élection, parce que refusant de choisir entre une Le Pen "dédiabolisée" et un Fillon "radicalisé", une grosse partie de la gauche s'abstiendra... Alors autant voter au premier tour déjà pour celui qui, résume Martine Aubry, "se dit et de gauche et de droite (mais) n'est ni de gauche, ni de gauche" -mais au moins pas d'extrême-droite.

Valls avait d'abord promis de respecter le choix de la "primaire" et de soutenir le candidat désigné, puis annoncé qu'il ne soutiendra pas Hamon, accusé de "sectarisme", avant de passer avec armes et bagage chez Macron. Bon vent, d'ailleurs : ça libère Hamon d'un boulet, et pourrait, après les présidentielles, et s'il a le courage de saisir cette occasion, libérer le PS de sa droite. Valls s'est clairement mis hors du champ politique socialiste, et, de fait sinon de droit, hors du parti qu'il prétendait vouloir transformer et même rebaptiser, avant que sa ligne politique ait clairement été désavouée lors de la "primaire de la gauche" (après l'avoir déjà été lors de la "primaire" socialiste de 2012. Au fond, il ne s'agit plus pour lui que de survivre politiquement, de pouvoir encore exister quelque part dans un paysage politique institutionnel recomposé par Macron -alors que Valls lui-même voulait faire ce que Macron fait : siphonner le PS pour nourrir quelque chose comme un Parti Démocrate... Macron et Mélenchon n'ont-ils pas l'un et l'autre pour projet de casser le PS pour en récupérer chacun un morceau ?

Aujourd'hui Méluche justifie sa candidature par la nécessité de construire la "VIe République". Fort bien. Mais avant d'entamer la construction de la VIe République, la France ne pourrait-elle pas finir la construction de la Ière ?

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