Un rapport de plus sur la Pénitentiaire genevoise : Bricoler la prison ou l'ouvrir ?



La Cour des Comptes genevoise a rendu un deuxième audit sur l'Office cantonal de la détention, le bon vieux Service Pénitentiaire de nos jeunes années délinquantes. Le premier portait sur le service des ressources humaines de l'OCD. Il était ravageur. Le second l'est aussi : des indemnités versées de manière "inappropriée", des gardiens rétribués pour des services et des travaux qu'ils n'ont pas accompli, des indemnités versées pour surpopulation carcérale (250 francs par mois)ne tenant pas compte de de l'atténuation de cette surpopulation, une indemnité pour remplacement dans une fonction supérieure (dont celle du directeur général de l'Office) versée sans base légale, des cadres sans formation adéquate pour gérer les crises, des contrôles internes lacunaires... N'en jetez plus... Commentaire du Conseiller d'Etat Pierre Maudet, souvent mieux inspiré, et qui nous fait le coup de l'"héritage du régime précédent" : "nous avons hérité du bricolage du passé, et nous sortons pas à pas de cette situation". Par un nouveau bricolage ? En attendant, le débat de fond sur la prison, son rôle, son usage, son mésusage, ne se fait pas. Ou peu. Et mal. Il y a cent ans, pourtant, quand la Russie était encore en révolution, elle ouvrait les prisons, et pas seulement aux "politiques" : aux droits communs aussi. Laissons Gramsci en témoigner.

"Le phénomène le plus grandiose qu’œuvre humaine ait jamais produit"


"Les journaux bourgeois n'ont guère accordé d'importance à cet autre événement : les révolutionnaires russes ont ouvert les prisons*, non seulement pour les condamnés politiques, mais aussi pour les condamnés de droit commun. Or les condamnés de droit commun d'un pénitencier, quand on leur annonça qu'ils étaient libres, ont répondu qu'ils ne se sentaient pas le droit d'accepter la liberté, car ils devaient expier leurs fautes. A Odessa, ils se sont rassemblés dans la cour de la prison, ils ont fait spontanément le serment de devenir honnêtes, et se sont engagés à vivre de leur travail. Quant aux fins de la révolution socialiste, cette nouvelle est aussi importante, si ce n'est plus, que celle de la chute du tsar et des grands-ducs. Les bourgeois eux aussi auraient chassé le tsar. Mais pour les bourgeois, ces condamnés de droit commun seraient toujours restés les ennemis de leur ordre, les ennemis sournois de leur richesse, de leur tranquillité. (...)
Les révolutionnaires n'ont pas craint de rendre à la vie publique des hommes que la justice bourgeoise avait stigmatisés du nom infamant de repris de justice, que la justice bourgeoise avait catalogués parmi les divers types de délinquants criminels. (...)
On lit dans un journal que, dans une prison, ces malfaiteurs ont refusé la liberté, et ont élus eux-mêmes leurs gardiens. (...) ces criminels de droit commun (devinrent), d'un coup, libres au point d'être en mesure de préférer la réclusion à la liberté, au point de s'imposer, eux-mêmes, volontairement, une expiation. Ils ont dû sentir que le monde avait changé, qu'eux aussi, cessant d'être des rebuts de la société, étaient devenus quelque chose, qu'eux aussi, les parias, avaient une volonté de choix.
C'est là le phénomène le plus grandiose qu'oeuvre humaine ait jamais produit. L'homme qui n'était que le criminels de droit commun est devenu, dans la révolution russe*, l'Homme tel qu'Emmanuel Kant, la théoricien de la morale absolue, l'a exalté."
Antonio Gramsci, El Grido del Popolo, 29 avril 1917
*Gramsci évoque ici la révolution russe de février (mars) -la seule, à vrai dire- et non le putsch bolchévik d'octobre (novembre). Qui ne videra pas les prisons, mais les remplira. Et fera de l'Homme non celui qu'exalte Kant, mais celui que rabaisse la machine.

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