Emmanuel, Roi thaumaturge


Le sacre et le Messie

La République laïque a des nostalgies de monarchie catholique : Dimanche, c'était le sacre de Macron. Pompes et circonstances. On est dans un pays historiquement monarchique (même s'il est devenu une république) et catholique (même si désormais la majorité de sa population est soit d'une autre religion, soit sans religion, soit d'un catholicisme sans pratique religieuse). La République sacre ses présidents comme la monarchie sacrait ses rois, et leur accorde plus de pouvoir qu'aucune monarchie protestante à ses monarques. Il ne manquait qu'à Emmanuel Ier que de recevoir les saintes huiles et de devoir toucher les écrouelles, Roi Thaumaturge, qui va sauver l'Europe et la France. Et la gauche française -mais en l'ayant préalablement liquéfiée. D'ailleurs, gageons qu'on ne l'évoquera bientôt plus qu'en "Emmanuel" tout court, comme on n'évoque le pape qu'en François. Après tout, Emmanuel, de l’hébreu ancien עמנואל, imanu'él (« Dieu est avec nous »), n'est-ce pas le nom du Messie ?


Veni, Veni Emmanuel (cri du socialiste Lazare au Messie)

Si quelqu'autre que Macron des quatre principaux candidats avait été élu-e, la Ve République, dans la forme que lui avait donnée De Gaulle, aurait vécu. Elle aurait tout de même duré plus longtemps que toutes les autres sauf la IIIe (née de la défaite de 1870, morte de celle de 1940), mais les institutions politiques ne peuvent avoir prétention d'éternité, et quand elles prennent sur la société un retard tel qu'elles entravent la société, elles changent. Ou s'effondrent. Ou sont renversées : on appelle cela une révolution. C'était le titre, fort présomptueux, que Macro, avait donné à son livre. C'est peut-être ce que son élection a pour mission (divine ?) d'éviter. En le provoquant, en format réduit et contenu, à gauche -à commencer par le PS, qui, il est vrai, a bien besoin d'un miracle : Lazare attend Emmanuel.

En pleine décomposition, et hors d'état de colmater les fuites qui le vident, le PS, de toute évidence, est le seul responsable de sa défaite : il a nourri le rassemblement "social-libéral" de Macron d'un côté, le rassemblement des "insoumis" de Mélenchon de l'autre. Résultat : l'invention socialiste d'une machine à remonter le temps politique, jusqu'en 1969, lorsque Gaston Defferre, baron SFIO et Maire de Marseille, se gaufrait avec 5 % des suffrages, quatre fois moins que le communiste (de l'espèce stalinienne) Duclos, et se retrouvait en quatrième position de la présidentielle. Mais deux ans plus tard, Mitterrand prenait le PS tout racorni d'assaut (avec le concours de Defferre), puis signait avec le PC et les radicaux de gauche un programme commun de gouvernement, faisait du PS le premier parti de France et finalement, douze ans après la déroute, se faisait élire à la présidence et faisait élire une majorité absolue de députés socialistes à l'Assemblée Nationale. Hamon, aujourd'hui, c'est Savary (le chef du PS de 1969). Ou Rocard : alors chef du PSU (la gauche socialiste hors du PS), le futur premier ministre avait lui aussi été candidat à la présidentielle. Il n'avait obtenu que 3 % des suffrages, mais avec quelques idées d'avance sur celles de la "vieille maison", il finissait par la rallier. D'ailleurs, pendant toute sa campagne et au soir de sa défaite, Hamon n'était pas entouré par les "éléphants du PS ", mais par les jeunes socialistes (ou pas socialistes, mais des jeunes). Si renouvellement du PS il peut y avoir, c'est de là qu'il partira. Et s'il n'y a pas renouvellement, il n'y aura tout simplement plus de PS, sinon à l'image de ce que sont les groupes socialistes américains : des tendances ou des aiguillons d'un grand machin centre-gauche. Ou de ce qu'est devenu le PASOK grec : une survivance racornie, dont la place politique a été prise par une "gauche de la gauche"convertie à la social-démocratie -et qui a applaudi à la victoire de Macron.

On a lu dans « Gauche Hebdo » du 12 mai (qui l'a reprise de l'"Humanité") cette évaluation consolante du politologue Gaël Brustier du résultat de la gauche française à la présidentielle : « La gauche est finalement dans une défaite d'avenir, très prometteuse », parce que Mélenchon et Hamon « ont imposé leurs thèmes » pendant la campagne. Ouais. Mais faudrait quand même pas en abuser des « défaites d'avenir très prometteuses », parce qu'à force, ça peut lasser, le genre « quand on est au fond du trou, on remonte pas, on creuse »...

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