Les socialistes suisses adoubent la réforme des retraites ? C'est NON quand même...


Lundi, le 1er mai avait notamment pour thème, en Suisse romande du moins, la défense des retraites et le renforcement de l'AVS. La veille, le PSS annonçait le résultat du vote général de ses membres sur le projet "Prévoyance vieillesse 2020" : La direction du parti voulait un "mandat clair", c'est un plébiscite : par 11’061 OUI contre 1’153 non, soit 90,6 % de OUI, le projet adopté par le parlement et soutenu par le groupe parlementaire, la direction du parti et les Femmes socialistes a été adoubé par la base. La participation au vote a été de 39 %, en augmentation de 7 % par rapport au dernier vote général de 1995. Toutes les sections cantonales ont approuvé la réforme : les résultats se situent entre 66,7 % de OUI à Genève (où l'assemblée générale du parti a adopté le mot d'ordre du "non" et du soutien au référendum) et 97,6 % de OUI à Obwald et Nidwald. On savait même pas qu'il y avait des socialistes à Nidwald, dis-donc... Seuls les Romands et Bâlois (de la ville) ont ont voté NON à plus de 10 % . On espérait mieux, mais on fera avec -de toute façon, minoritaires, on savait qu'on le serait avant même qu'on en ait la confirmation par le résultat du vote général, et le référendum, on l'a déjà signé, alors ça sera NON quand même.

Une revendication de la Grève Générale de 1918, un combat de trente ans pour la faire aboutir, ça pèse lourd.


C'était la quatrième fois seulement que le Parti socialiste suisse consultait l'ensemble de ses membres (une trentaine de milliers actuellement) pour leur faire prendre à toutes et tous une décision importante qu'aurait pu prendre un congrès ou une assemblée de délégués (ou auparavant le comité central). La première et la deuxième fois, c'était pour décider de l'adhésion ou non... à l'Internationale communiste (la IIIe Internationale), en 1921, adhésion évidemment refusée, et la troisième fois en 1995 pour accepter, déjà, une révision de l'AVS, la 10e, impliquant un report de l'âge de la retraite des femmes, mais en échange d'améliorations importantes du système, en leur faveur (notamment l'introduction du splitting et de la prise en compte des tâches éducatives). Cette révision là avait été acceptée. La réforme de cette année aussi, mais dans un contexte tout différent : le discours est devenu beaucoup plus défensif, le soutien au projet est est motivé par une volonté de "sauver l'AVS" plus que de l'améliorer, la situation du 2e Pilier est de plus en plus alarmante, et le rapport des forces politiques au parlement beaucoup plus déséquilibré (au profit de la droite PLR et UDC). D'où, finalement, l'approbation massive par la base socialiste (mais aussi par les directions syndicales, et par les Verts) d'un "compromis" présenté comme la moins pire des solutions -ce qui est apparu d'autant plus crédible qu'il est attaqué au moins autant par la droite de la droite que par la gauche de la gauche.

Dans sa brochure de présentation de l'enjeu, largement orientée en faveur du "oui" (ce qui n'a sans doute rien changé au résultat du vote),la direction du PSS reconnaissait que "Prévoyance 2020 conduit à une mesure douloureuse de démantèlement au travers de l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes". Le mot "démantèlement" est lourd de sens, et son poids pèse sur l'acceptation à une majorité écrasante de ce "démantèlement"  : les femmes devront travailler une année de plus pour ne toucher toujours que des rentes inférieures, en moyenne, à celles des hommes (qu'il s'agisse des rentes AVS ou LPP), puisque touchant toujours des salaires en moyenne inférieurs à ceux des hommes, tout en assumant l'essentiel du travail (familial, social) non rémunéré : l'égalité est inscrite dans la constitution depuis 36 ans, l'inégalité l'est toujours dans la réalité. Mais la direction du PSS et les directions syndicales expliquent que, dans un autre sens que celui de ce "démantèlement", des mesures qui auraient conduit "à un affaiblissement de l'AVS ont du être abandonnées au profit de nombreuses avancées sociales" -et d'en conclure que le bilan des reculs sur l'âge de la retraite et le taux de conversion du capital LPP en rentes, et des avancées sur l'augmentation des rentes AVS et l'abaissement du seuil de cotisation au 2e Pilier (puisqu'il nous est expliqué qu'il s'agit là d'une avancée) est en faveur des secondes, et que le projet est un "mal nécessaire", le "moins mauvais compromis possible". Nous sommes de l'avis contraire -d'autant que si le report de l'âge de la retraite des femmes est un recul clair, un "démantèlement", une "couleuvre à avaler" sans conteste, les avancées, elles, sont sujettes à restrictions : l'augmentation des rentes, par exemple, va fatalement entraîner un recul des prestations complémentaires pour celles et ceux qui en touchent, et les améliorations obtenues ne le seraient que pour les futurs retraités -pas pur les retraités actuels. Enfin, croire que l'acceptation du projet PV2020 évitera à l'avenir d'avoir à faire face à une offensive de la droite pour reporter l'âge de la retraite à 67 ans pour tout le monde, femmes et hommes, paraît singulièrement optimiste : le PLR et l'UDC n'y renonceront pas.

A Genève, puisque cette histoire nous surprend là où nous vivons, militons, causons et votons, la situation est assez paradoxale : l'Assemblée générale du parti s'est largement prononcée pour le NON, les membres cotisants ayant participé au vote se sont, eux, largement pour le OUI (même si ce fut à la moins forte majorité de tous les partis cantonaux). Et si les faîtières syndicales suisse appellent toute à voter OUI, la Communauté Genevoise d'Action Syndicale, qui regroupe tous les syndicats du canton, est engagée dans le référendum facultatif et l'appel au refus de la réforme. La gauche part donc divisée dans ce combat : dans la campagne référendaire, les secrétaires syndicaux du SSP sont invités par leur centrale à la discrétion, ceux de Syndicom carrément à l'invisibilité, ceux d'Unia et du SEV ne pourront apparaître qu'au nom de la CGAS, pas au nom de leur syndicat.

Le PS et les syndicats se sont rudement engagés dans la campagne pour défendre le projet de réforme du système de retraite. Si rudement qu'il était illusoire de les convaincre de faire marche arrière : le PSS en fait l'enjeu majeur de la législature, de la redéfinition des rapports de force parlementaires et de sa propre consolidation comme partenaire inconournable de toute réforme sociale. Or référendum il y aura, de toute façon, puisque le financement de la réforme par la TVA est soumis au référendum obligatoire, et que le référendum facultatif, lancé pour s'opposer au report de l'âge de la retraite des femmes, aboutira certainement. Au moment de la campagne décisive, celle qui précédera le vote, on aura donc à la fois les mots d'ordre socialiste et syndicaux nationaux (pour le OUI) et des mots d'ordre socialistes et syndicaux cantonaux contraires (pour le NON). Sur un thème quasi identitaire pour le PS et l'Union Syndicale , ce peut être périlleux, mais c'est finalement assez sain, et en tout cas logique : sur ce coup là, il n'y aura pas d'appel au vote blanc...
Une revendication de la Grève Générale de 1918, un combat de trente ans pour la faire aboutir, de septante ans pour la défendre et l'améliorer, ça pèse lourd... Plus lourd que les séduction d'un compromis que ses partisans eux-mêmes définissent comme un "moindre mal".

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