France : Ni VIe République, ni IIIe Empire


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Pas de Macroléon III

Jean-Luc Mélenchon faisait campagne pour une VIe République ? On est toujours dans la Ve. On craignait qu'Emmanuel Macron se dote d'un parlement au furieux air de celui du Second Empire de Louis-Napoléon (premier président de la République française élu au suffrage universel, qui voulait "éteindre le paupérisme", a fait entrer la France dans le capitalisme moderne, et Nice et la Savoie dans la France) ? La menace est écartée. Avec une majorité absolue des sièges, même obtenue avec une majorité absolue d'abstentions, le président Macron et son gouvernement n'auront certes pas besoin d'aller chercher des alliés au parlement, mais leur succès électoral même les prive de tout droit à l'erreur ("la victoire nous oblige", résume le Premier ministre). Quant aux abstentionnistes, sauf à vouloir faire dire à leur non-vote quelque chose que, par définition, il ne dit pas (une opposition à Macron, par exemple), on ne peut que leur attribuer soit un consentement a priori à la victoire du vainqueur annoncé, soit une résignation à cette victoire, soit une indifférence absolue au résultat -celles et ceux qui refusent l'alternative qui leur est proposée ne s'abstiennent pas : elles et ils votent blanc ou nul. Les abstentionnistes, eux, sont forcément du côté des vainqueurs. L'abstention a été massive (à l'aune française, pas à l'aune suisse), mais elle pourrait bien résulter d'une démobilisation d'une partie de l'électorat macronien, trop sûr de la victoire. Et que ni le PS, ni la "France insoumise", ni les "Républicains", ni le Front National n'aient été capables de mobiliser leurs propres électeurs au-delà du nécessaire pour survivre politiquement, ce n'est qu'à eux qu'en revient la responsabilité.


Un ressourcement politique : l'opposition, ça sert à ça.

Finalement, ce n'est pas un tsunami, mais une bonne grosse marée d'équinoxe déplacée au solstice : la "République en Marche" obtient à elle seule, sans le Modem, la majorité absolue des sièges à l'Assemblée Nationale, mais une majorité pas si écrasante qu'annoncée, même si, comme l'a relevé le Premier ministre (de droite), Philippe, "il y a un an, personne n'aurait imaginé un tel renouvellement politique" (il y a un an, on imaginait plutôt Fillon président et une majorité absolue pour les "Républicains"...). Cela étant, la droite traditionnelle (les Républicains et l'UDI) subit certes une lourde défaite mais forme tout de même un groupe plus consistant que tous les autres groupes non-macroniens réunis, le PS est quasiment exsangue mais sauve sa peau, la "France insoumise" entre au parlement en pouvant constituer un groupe sans les communistes (qui, eux, vont devoir choisir entre siéger comme non inscrits ou négocier leur intégration dans un autre groupe de gauche), mais a moins d'élus que le PS, et le Front National augmente sa représentation, mais sans pouvoir constituer un groupe. Toutes les oppositions potentielles à Macron sont battues, mais toutes subsistent -d'ailleurs, les élus macronistes, comme le Premier ministre, ont rivalisé hier soir dans l'affichage d'une posture d'humilité.

La "République en Marche" assurait, quatre jours avant le scrutin, que, consciente de "l'affaiblissement du lien entre les partis et une grande partie des Français", elle lancerait après les législatives "une consultation nationale pour définir de nouvelles manières d'impliquer les citoyens". Et de contourner les contre-pouvoirs ? Parce que, quoi qu'en geignent les battus de l'élection, moins lourdement battus d'ailleurs qu'ils pouvaient le craindre,, Macron et son mouvement ne disposent pas d'un pouvoir absolu, et ne sont pas un parti unique. Certes, ils contrôlent la présidence, le gouvernement et l'Assemblée Nationale, mais ni le Sénat (la droite traditionnelle y est majoritaire), ni les régions (la droite traditionnelle en contrôle la plupart), ni les grandes villes (majoritairement à gauche). Même affaiblis, les syndicats sont toujours un contre-pouvoir, et même battus, les partis d'opposition sont toujours représentés au parlement, toujours relayés par les media (tout en les dénonçant comme étant en extase devant Macron), et sont toujours capables de mobiliser dans la rue. Et puis, la "République en marche" ne marche pas en un pas si cadencé, et en colonnes aussi rangées, que ses concurrents et ses adversaires feignent de le croire. Ce conglomérat rassemble des technocrates et des militants, des hommes et des femmes sans passé politique et des militantes et des militants de toujours, de droite, de gauche, du centre, d'ailleurs et de nulle part...

En attendant de savoir ce que Macron fera de sa majorité louis-napoléonienne, la droite et la gauche traditionnelles tablent sur l'inexpérience d'une grande partie de ses troupes parlementaires -d'hommes et de femmes qui ne connaissent rien du travail parlementaire, des navettes entre les Chambres, des débats en commission, de l'utilisation des media... et alors ? elles et ils apprendront -comme on appris (trop bien, même, jusqu'à se dissoudre politiquement dans ces processus) les socialistes de la "vague rose" de 1981. Et l'électorat des "marcheurs" élus ne leur demande qu'une chose, dont on ne voit pas pourquoi ils seraient moins capables que celles et ceux qu'ils ont lourdés : savoir ce qu'ils font, et pourquoi ils le font, quand ils votent (ou non) une loi. De toute façon, la majorité macronienne n'est de loin pas composée que de perdreaux de l'année.

Et puis, tout de même, on ne gagne pas par hasard, dans un pays comme la France, une élection comme les "marcheurs" de Macron viennent d'en gagner deux à la suite -et on ne gagne pas non plus par le fait d'un complot. On gagne une élection comme elle vient d'être gagnée parce qu'en face, plus rien ne tient debout. Et que donc, tout est à reconstruire. Surtout à gauche. "La victoire nous oblige", déclare le Premier ministre de Macron. La défaite aussi, oblige ceux qui la subissent. Le Premier secrétaire du PS démissionne de son poste et le laisse à une direction "collégiale". Ce n'est qu'un geste, attendu, il va falloir trouver autre chose que des changements de têtes, quelque chose comme un ressourcement politique : l'opposition, ça sert à ça. Surtout si, comme la gauche française, on n'a plus vraiment le choix.

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