Voile "islamique", retour d'une question idiote


Raison garder...

La question (à supposer que cela en soit une) du port du voile, ne fût-il qu'un foulard, dit "islamique" refait régulièrement surface. A Genève, elle avait provoqué quelques échauffement dans quelques lieux politiques, et avait divisé à gauche -ce qui en soi ne lui donne guère plus d'importance qu'elle n'en a, la gauche pouvant se diviser sur à peu près tout et n'importe quoi. Là, elle se divise sur l'attitude à adopter à l'égard de la manifestation visible d'une conviction religieuse. On ne résistera pas plus longtemps au plaisir d'y mettre notre grain de seul en posant quelques questions, et en suggérant malignement la réponse qu'il nous semble devoir leur être apportées, du moins si l'on tient à quelque raison garder.


"La fidélité à une sottise n'est jamais qu'une sottise de plus" (Vladimir Jankélévitch)

Questionnons, donc : On le sait et le voit, s'approprier le corps des femmes peut se faire en les obligeant à le voiler comme en le leur interdisant -mais de quelles prescriptions comparables afflige-t-on les hommes ? En quoi le licenciement d'une employée municipale ou l'exclusion de stage d'une étudiante portant foulard est-il un acte féministe ? Si on considère qu'en portant foulard, elle se rend elle-même victime d'une discrimination machiste, la sanctionner pour cela ne la fait-elle pas deux fois victime ? La sanction qui la frappe efface-t-elle la prescription vestimentaire qu'elle subit (de son plein gré ou non) ? L'interdiction imposée aux femmes de porter foulard ou voile n'est-elle pas précisément un déni de "neutralité" du service public, lequel devrait se contrefoutre de la vêture de ses agentes pour autant que cette vêture ne les empêche pas d'assurer le service qu'on attend d'elles ? Et une telle interdiction imposée à une étudiante ou une stagiaire, ce qui n'a de sens que si son irrespect entraîne une sanction, ne revient-elle pas à nier le droit d'une femme à l'étude alors que le mouvement féministe s'est battu pendant des décennies pour ce droit ? Peut-on accepter que l'Etat (ou la commune) ratifie les stéréotype existants dans une partie de la population pour en faire des lois, ou des règlements, ou des articles de statuts du personnel ? ne devrait-il pas plutôt les combattre avec d'autant plus de vigueur que ces lois, ces règlements, ces statuts, servent souvent de référence aux pratiques du secteur privé ? Interdire voile ou foulard en tant que "signes religieux", n'est-ce pas donner raison à ceux qui précisément en font des signes religieux alors qu'ils ne sont que des reliefs patriarcaux ? On vous avait prévenus : telle qu'elles sont posées, ces questions suggèrent leurs réponses.

Une société se construit sur ce qui rassemble les sociétaires, pas sur ce qui les divise. Or les religions, divisées entre elles, divisent les sociétés où elles sévissent, et les divisent d'autant plus profondément lorsqu'elles se présentent elles-mêmes comme les seules vraies, ce qui suppose logiquement que les religions autres, sans même évoquer l’irréligion, ne sont que porteuses d'erreurs ou de mensonges. Or toute société est désormais pluraliste, y compris religieusement, qu'elle l'admette ou non. A moins de choisir de reconnaître officiellement certaines religions et pas d'autres (ou contre d'autres), ce qui serait rigoureusement contradictoire de la laïcité, l'Etat ne peut que prendre acte de ce pluralisme. Pour autant, l'Etat n'est pas hors de l'histoire -et certainement pas hors de la sienne. Nos Etats (au sens moderne du concept) naissent dans des sociétés christianisées, elles-mêmes héritières (comme le christianisme, d'ailleurs) de sociétés païennes (et, s'agissant du christianisme, du paganisme et du judaïsme). Les comportements sociaux, les normes et les habitudes sociales, ne sont pas non plus sans racines religieuses, et lorsque ces comportements se traduisent en des lois, ces lois ont les mêmes racines. Mais on est là dans l'héritage, dans la tradition, pas dans l'ordre de la raison : il n'y aucun impératif social autre que celui né des traditions locales à interdire la consommation de porc ou à autoriser celle de l'alcool, à obliger les femmes à se voiler ou à leur interdire -ce qui, après tout, procède de la même incapacité à accepter qu'elles décident elles-mêmes.

D'ailleurs, les islamistes n'ont rien fait d'autre que copier leurs prédécesseurs chrétiens ou juifs. Ainsi de Tertullien (155-225), Père de l'Eglise : il interdit les spectacles, impose des jeûnes innombrables, considère qu'un mariage en seconde noce n'est qu'un adultère, que la chasteté est la vertu suprême, recommande de mourir en martyr, polémique contre les hérétiques, les tièdes, les apostats, et finalement dénonce la mollesse de l'Eglise...  : "Qui que vous soyez, mère, soeur, fille, épouse, voilez votre tête. (...) Revêtez-vous des armes de la pudeur; dressez devant vous le rempart de la modestie; environnez enfin votre personne d'une muraille qui arrête vos propres regards ainsi que les regards d'autrui", prenez exemple sur "les femmes de l'Arabie (...) qui, non contentes de se voiler la tête, se couvrent aussi le visage tout entier, de sorte que, ne laissant d'ouverture que pour un oeil, elles aiment mieux renoncer à la moitié de la lumière que de prostituer leur visage tout entier" (Tertullien "De virginibus velandis"). Et puis, Saint Jérôme, pour qui la vue des femmes est "cent fois plus nuisible que le vin", et Paul de Tarse (Saint Paul), qui exige que les femmes portent "sur la tête un signe de sujétion", moins à Dieu qu'aux hommes.

A tout ces augustes personnages chrétiens comme à leurs épigones islamistes, on s'autorisera à adresser ce message de Jankélévitch : "La fidélité à une sottise n'est jamais qu'une sottise de plus" (Vladimir Jankélévitch). Mais qu'on abolit pas une sottise en proférant la sottise inverse.

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