Quand le gouvernement espagnol veut faire taire les Catalans


Arroseur arrosé

Le 1er octobre, en Catalogne, se tiendra un référendum d'autodétermination dont le gouvernement espagnol ne veut pas, dont il nie la légalité et même la légitimité, mais dont selon les sondages 70 à 80  % des Catalans veulent qu'il se tienne, la majorité d'entre eux exprimant l'intention d'y voter contre l'indépendance, et pour le maintien dans l'Espagne. On se retrouve donc dans cette situation paradoxale, due à la seule stupidité du gouvernement central espagnol : un référendum lors duquel les Catalans pourraient manifester leur volonté de rester espagnols est interdit par le gouvernement espagnol, qui met en examen les maires qui garantiront les conditions matérielles du scrutin, fait saisir le matériel de vote, utilise le chantage financier et les menaces judiciaires et policières.  Les autorités catalanes, indépendantistes, organiseront tout de même un référendum, auquel n'iront majoritairement voter que les partisans de l'indépendance, et dont le résultat sera donc, vraisemblablement, un "oui" massif au projet de République catalane, alors que résultat d'un référendum que Madrid autoriserait serait un "non" à ce projet -et donc un "oui" à la Catalogne espagnole. Comment traduit-on "l'arroseur arrosé", en catalan ? aspersor regat ?


"Ce qu'on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre"


La nation catalane ne naîtra pas du référendum du 1er octobre : elle existe déjà, et depuis longtemps, comme "une communauté de culture fondée sur une communauté de destin" (pour reprendre la définition que les austromarxistes donnaient de la nation). Comme, en Espagne, existe aussi une nation basque (35'000 personnes ont d'ailleurs défilé à Bilbao en soutien au référendum catalan). Et comme existent ailleurs d'autres nations sans Etat, l'Ecosse, par exemple. Ou les Kurdes : Ceux d'Irak, par coïncidence, voteront d'ailleurs eux aussi en référendum sur leur indépendance, une semaine avant les Catalans. Et leur référendum aussi se voit dénoncé par l'Etat de tutelle dont les indépendantistes veulent s'émanciper : l'Etat irakien comme l'Etat espagnol -belle convergence démocratique (à laquelle, dans le cas du Kurdistan, s'ajoutent les menaces turques et iraniennes, puisque les Kurdes de Turquie et d'Iran pourraient prendre exemple sur les Kurdes d'Irak.

Il y a donc une nation catalane. Dont une composante ne se contente pas de la reconnaissance rhétorique et constitutionnelle d'une spécificité régionale, mais revendique un droit fondamental : celui des peuples à disposer d'eux-mêmes. Le référendum du 1er octobre est le moment où il sera demandé au peuple catalan s'il veut ou non que la nation catalane se constitue en un Etat catalan. La même question sera posée aux Ecossais. Et, en creux, elle contient cette autre question : qu'est-ce qu'une nation, sinon une volonté d'être une nation ? Cette tautologie exprime la seule condition nécessaire, et suffisante, pour qu'une collectivité humaine (de quelque manière qu'on la nomme : peuple, ethnie...) se fasse nation : la volonté collective de l'être. Cette définition, c'est celle qui distingue la nation de l'ethnie (pour ne rien dire de la "race"), et qui la distingue depuis 1789.
La nation à la française n'est pas la nation à l'allemande. La première est élective, et née d'une révolution, la seconde est héritée et a été reprise par toutes les extrême-droites (y compris françaises) depuis la Révolution, contre l'idée rousseauiste d'un contrat volontaire entre individus libres. Aux "Rencontres de Pétrarque", en 1995, Régis Debray définissait ainsi la conception française, républicaine, de la nation : "une certaine conception de la nation, qui n'est pas fondée sur l'ethnique mais fondée sur la souveraineté populaire et sur l'égalité devant la loi. Nation, donc, une et indivisible au dessus des corporations, des régions, des églises, des factions, etc.". On rejoint ici Rousseau. La nation se construit elle-même, se proclame elle-même.

Pour autant, elle n'est pas un ensemble homogène, communautaire : l'ensemble qu'elle constitue est traversé de contradictions de classe, de conflits sociaux et politiques, de différences culturelles. La Catalogne ne fait pas exception à cette règle -ni aucune nation ancrée dans la réalité contemporaine plutôt que dans les nostalgies tribales : il y a une droite catalane et une gauche catalane, un patronat catalan et des travailleurs catalans, des Catalans riches et des Catalans pauvres. Et des Catalans qui veulent une Catalogne indépendante, et des Catalans qui veulent une Catalogne espagnole. Il ne s'agit par le référendum organisé par la Generalitat que de leur donner à toutes et tous le droit et le moment de s'exprimer. Et il ne s'agit pour le gouvernement de Madrid que de rendre impossible l'exercice de ce droit. Ce qui a au moins un mérite : celui d'opérer une distinction claire entre qui, à Barcelone, s'inscrit dans un processus démocratique et qui, à Madrid, le craint et le refuse. Ce qui ne peut que le radicaliser.

L'écrasante majorité des Catalans veulent pouvoir voter. Voter pour ou contre l'indépendance, mais voter. "Ce qu'on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre" (Spinoza). Le pouvoir central n'empêchera pas la tenue d'un référendum le 1er octobre. Il ne réussira qu'à empêcher ceux qui veulent que la Catalogne reste dans l'Espagne de pouvoir le dire. On ne pourrait mieux qu'en empêchant sa soumission au vote populaire légitimer un désir d'indépendance (et le faire partager par celles et ceux qui a priori ne le ressentaient pas, comme la Maire de Barcelone, Ada Colau), qu'il soit celui de la Catalogne, d'Euzkadi, du Kurdistan ou de l'Ecosse.

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