Réforme des retraites (PV2020) : La raison du NON


Le référendum de gauche contre la réforme de la prévoyance vieillesse (AVS et 2e Pilier) a largement abouti, et le Comité « Non à la hausse de l'âge de la retraite. Non à la baisse des rentes » a déposé le 6 juillet 58’718 signatures validées (sur 70'000 récoltées) auprès de la Chancellerie. La majorité de ces signatures ont été récoltées en Romandie, avec un succès notable à Genève et dans une moindre mesure dans le canton de Vaud. Le 24 septembre, les citoyennes et les citoyens pourront ainsi s’exprimer non seulement sur la hausse de la TVA finançant la réforme, soumise à référendum obligatoire, mais également sur l’ensemble de la Loi sur la prévoyance vieillesse 2020. Le référendum de gauche s'attaque essentiellement à la hausse de l’âge de la retraite des femmes, et accessoirement à la baisse des rentes de 2e pilier : s'il ne s'était agi que de cela, il n'y aurait sans doute pas eu de référendum de gauche -ce qui fait mal, ce qui justifie notre opposition à un projet soutenu par la majorité des membres du PS suisse et toutes les faîtières syndicales fédérales, c'est bien, d'abord, le report d'un an de l'âge de la retraite des femmes...

D'abord, ne pas se résigner au "moindre mal".

Ce qui nous est proposé, avec la réforme des retraites, est un compromis : des mesures réclamées par la gauche d'un côté, des mesures réclamées par la droite de l'autre côté, les unes ficelées aux autres et les autres aux unes dans un paquet conçu non en fonction d'un projet politique, mais d'une échéance : le vote populaire. On est allé ni trop à droite, ni trop à gauche, ce qui convenait au "centre" mais prive la réforme Berset de toute cohérence, en même temps que cela lui donne des chances d'être acceptée par le peuple. On consolide l'AVS, on refinance la "prévoyance professionnelle", mais on ne choisit pas sur lequel de ces deux piliers on va s'appuyer pour construire un système de retraite capable de remplir le mandat constitutionnel qui le définit et de résister aux évolutions économiques et démographiques en cours. On stabilise pour quinze ans, on ne construit pas pour plus longtemps. Et on repousse à plus tard les choix qu'on ne s'est pas senti capables de proposer aujourd'hui : celui d'une véritable retraite flexible, par exemple. Il n'y a en effet aucune objection sensée à ce que l'âge de la retraite ne soit pas le même pour un terrassier et un enseignant, et que le premier ne puisse prendre sa retraite à cinquante ans et le second à septante.

Alain Berset, à propos de la réforme "Prévoyance vieillesse 2020" : "Ce paquet contient beaucoup de mesures qui ont été depuis longtemps proposées par les bourgeois : l'élévation de l'âge de la retraite des femmes, la baisse du taux de conversion ou encore le mécanisme d'intervention sur l'AVS. Tout est dedans". Bon, d'accord, cet état des lieux date de 2014 (dans la NZZ du 21.XI.2014), et entre-temps, un "compromis" a été trouvé avec le PDC, l'augmentation de la rente AVS pour les futurs retraités, pour rendre le "paquet" moins inacceptable par une partie de la gauche... mais sur le fonds, il était lucide, le Conseiller fédéral, quand il disait de son projet qu'il était acceptable pour la droite... sauf qu'aujourd'hui, la droite alémanique n'en veut plus, du moins sous la forme qu'il a prise après que le compromis scellé entre le PS et le PDC ait abouti à une augmentation des rentes AVS. Le candidat PLR tessinois au Conseil fédéral, Ignazio Cassis, annonce la couleur : si le "paquet Berset" est refusé, la droite à un "plan B", c'est le même projet que celui qu'elle refuse, mais sans l'augmentation des rentes AVS, avec une compensation de la baisse du taux de conversion du 2e Pilier, mais à l'intérieur du 2e Pilier lui-même, qu'il faut renforcer au détriment de l'AVS. Et avec la retraite à 67 ans "à moyen terme". Le PLR s'inquiète de la passivité, "irresponsable" selon le Valaisan Philippe Nanternod, de l'UDC dans la campagne de la droite contre la réforme du système des retraites. Il est vrai que l'électorat de l'UDC a la fibre plus "sociale" que la direction du parti : en 2010, les trois quarts de l'électorat udéciste avaient rejetés la baisse du taux de conversion du 2e Pilier. Et du côté de la composante "agrarienne" du parti, on soutient, comme l'Union suisse des paysans, la réforme que le parti est supposé combattre.

Quant à la gauche, aucune réforme du système suisse des retraites n'a pu se faire sans elle, ni même sans que des ministres de gauche en soient les promoteurs : la dernière réforme en date qui ait été acceptée par le peuple est celle que Ruth Dreifuss, qui défend le "paquet Berset", avait porté il y a vingt ans. Pourquoi avons-nous ici, comme le PS genevois et l'ensemble des syndicats genevois (la Communauté genevoise d'action syndicale) soutenu le référendum ? D'abord, parce que la réforme repousse d'un an l'âge de la retraite des femmes, pour la mettre à égalité de celle des hommes alors qu'il n'y a pas égalité dans le travail, le salaire et les retraites. Ensuite, parce que la  réforme proposée nous semble privilégier le sauvetage de la "prévoyance professionnelle" (le 2e pilier) au détriment du renforcement de l'AVS, alors que, comme le déclare le comité référendaire de gauche, "une autre réforme est possible, (qui consisterait) à renverser résolument la vapeur en faveur de l’AVS qui est la seule assurance solide, solidaire et égalitaire". Cette qualité de l'AVS est également mise en avant par les soutiens de gauche de la réforme, à commencer par le PS suisse, l'Union syndicale suisse, qui y voient une consolidation de l'AVS, et une consolidation particulièrement favorable aux femmes (ce sont elles qui vont surtout bénéficier de l'augmentation proposée de cette rente, malgré le report d'un an de l'âge de leur droit à la retraite, puisqu'un quart d'entre elles n'ont de rente que celle qui leur est assurée par l'AVS,

La consolidation du "Premier pilier" du système de retraites est urgente -non que l'AVS soit menacée de faillite (elle est en réalité plus solide que le "2e Pilier", et a toujours, en dix révisions successives, su s'adapter), mais parce qu'il faut qu'elle puisse assumer des évolutions démographiques plus lourdes que tous les calculs politiques. Le "paquet Berset" répond-il à cette exigence ? A notre (humble) avis, non. Contrairement à celui qui avait été accepté il y a vingt ans, il ne propose aucune prise en compte de la situation particulière des femmes, et aucune amélioration fondamentale de cette situation, mais seulement une compensation fragile du report de l'âge de leur droit à la retraite. Un report qui va à l'encontre de décennies de luttes politiques et syndicales, et qui "égalise" l'âge de la retraite en ignorant superbement toutes les inégalités qui subsistent -notamment de salaires et donc de rentes. Sans doute Ruth Dreifuss a-t-elle raison de considérer que le refus de la réforme du système des retraites ne fera en rien progresser la lutte contre ces inégalités, mais ce constat vaut aussi, et à plus forte raison, pour une acceptation de la réforme : si celle-ci, "moindre mal" si on la compare aux projets d la droite, n'est pas l'abomination de la désolation sociale et de la trahison politico-syndicale des principes de gauche, elle pérennise tout de même les inégalités existantes.

Il y a bien un moment où il faut dire "non" à la résignation face aux inégalités, et au renoncement à proposer, du système des retraites comme de tout le reste, de véritables réformes faisant avancer les causes que nous défendons, au lieu que se contenter de ce qu'elles ne reculent pas trop vite. Le "non de gauche" au "paquet Berset" est d'abord l'expression de ce refus de la résignation au "moindre mal". Ne serait-il que cela qu'il, se justifierait.

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