Catalogne : l'indépendance comme volonté


Allô Madrid, ici Barcelone...

"Nous constituons la République catalane, Etat indépendant et souverain, de droit, démocratique et social" : La majorité du parlement catalan a adopté hier soir une déclaration d'indépendance, immédiatement suspendue par le chef du gouvernement catalan, Carles Puigdemont, pour laisser du temps au dialogue avec le gouvernement espagnol. Un appel auquel personne n'attendait vraiment que Madrid réponde autrement que par un refus de dialoguer avec la Generalitat en tant qu'institution, et Puigdemont en tant que personne, sauf à exiger d'elle et de lui une capitulation en rase campagne. A Barcelone a ainsi été proclamé l'indépendance de la Catalogne non comme un état de fait, mais comme une volonté. A laquelle s'oppose une autre volonté : celle du gouvernement espagnol, du parti au pouvoir, de ses alliés de droite et d'une partie du PS(OE) de s'arrimer à la constitution de 1974 comme Moïse à son décalogue, quitte à y puiser le fameux article 155 qui permettrait au pouvoir central de suspendre purement et simplement l'autonomie de la Catalogne. Et d'en revenir ainsi, au nom de la constitution de la "transition démocratique", à la situation qui prévalait sous le franquisme que cette constitution et cette transition voulaient dépasser. On a beaucoup ces derniers jours un "dialogue de sourds" entre Madrid et Barcelone, mais il n'y avait en fait qu'un seul sourd dans ce dialogue jusque là impossible. allô Madrid, ici Barcelone : on existe !


Pourquoi diable ce qui a été possible en Ecosse ne le serait pas en Catalogne ?


L'indépendance de la Catalogne n'a pas été rendue effective mardi soir, et la Catalogne n'est pas un Etat. Pas encore, ajoutent les indépendantistes -mais le "encore" n'ajoute, au présent, rien au "pas". Toutefois, le décorum contredit l'institution : le décorum, c'était celui d'un parlement réuni pour écouter le chef d'un gouvernement, et lui répondre. L'institution, c'est la constitution espagnole, sur laquelle s'appuient ceux qui nient au chef du gouvernement catalan, à ce gouvernement et à ces membres, et à ce parlement, toute ressemblance avec ceux d'un Etat.  Mais Carles Puigdemont devant le parlement catalan, c'était un chef de gouvernement devant un parlement réuni dans une salle ressemblant à celle de tous les parlements de toutes les Etats démocratiques. On a vu le chef d'un exécutif (un gouvernement, donc) s'adresser depuis une tribune à un parlement pluraliste, avec une opposition presque aussi nombreuse que la majorité. On a entendu l'opposition lui répondre. On a vu un gouvernement sur son banc. Bref, on a assisté à un exercice de démocratie représentative tout à fait comparable à tous les autres, ailleurs. Y compris aux Cortes, à Madrid, devant lesquelles le Premier ministre Rajoy répondait à Puigdemont. Et ce n'est pas parce que l'indépendance de la Catalogne n'a pas été proclamée qu'elle n'est plus à l'agenda politique espagnol et européen. Quoi qu'il ait dit, et de quelque manière qu'il l'ait dit, Carles Puigdemont a réussi son coup : il est passé en direct et en traduction simultanée du catalan et du castillan sur toutes les chaînes d'info européennes, et probablement sur toutes les chaînes espagnoles (la traduction simultanée du catalan à l'appui), même celles qui disaient (et continueront de dire) pis que pendre de lui, de la Generalitat et des indépendantistes catalans (voire des Catalans en général) depuis des semaines. Qui connaissait Carles Puigdemont, il y a trois mois, hors d'Espagne ?

L'exercice auquel tente de se livrer la Generalitat de Catalogne est un exercice de démocratie. Un exercice malaisé, contradictoire : celui de l'autodétermination dans un cadre institutionnel (la constitution espagnole de "transition démocratique" -mais une transition de plus de quarante ans peut-elle encore être qualifiée de transition ?) qui en nie la possibilité même. Il s'agit d'autodétermination, pas forcément d'indépendance. Il s'agit de choisir -et c'est précisément ce qui en fait un exercice de démocratie, si c'est au peuple qu'on demande de choisir. A ce titre, la grande manifestation anti-indépendantiste de dimanche dernier s'inscrit parfaitement dans un processus d'autodétermination : celles et ceux qui y ont participé en proclamant leur volonté de rester espagnols n'ont rien fait d'autre qu'exprimer un des choix possibles (avec l'indépendance, mais aussi une autonomie élargie) offerts par ce processus. Et c'est ce processus, même s'il devait aboutir au maintien de la Catalogne dans l'Espagne, qui manifeste la naissance d'une nation catalane -pluraliste, contradictoire, comme toute nation.

Le conflit politique, institutionnel, culturel entre la Catalogne et le pouvoir central espagnol n'oppose donc pas une région à une nation, la région de Catalogne à la nation espagnole, mais une nation catalane à l'Etat espagnol, comme d'autres conflits du même genre, bien mieux gérés que celui-là par le pouvoir central, comme le conflit  de la nation écossaise contre l'Etat britannique. Alors pourquoi diable ce qui a été possible en Ecosse (un référendum d'autodétermination organisé par un gouvernement "régional" se voulant national, mais avec l'accord du gouvernement central, et avec des modalités négociées entre les deux gouvernements) ne le serait pas en Catalogne ? Parce que l'Etat espagnol n'en démord pas du statu quo institutionnel. Il pourrait le dire avec les mots, dont on ne sait s'ils sont cyniques ou résignés, de Blaise Pascal : "La justice est ce qui est établi. Et ainsi toutes nos lois établies seront nécessairement tenues pour justes sans être examinées, puisqu'elles sont établies". Bref : c'est juste, puisque c'est. L'apartheid est juste, les lois antisémites du nazisme ou pétainisme sont justes, la charia est juste. Et donc, à plus forte raison puisqu'à moins forte nuisance, la constitution (monarchiste) espagnole de la "transition" est juste. Et la prétention catalane à s'en affranchir forcément, mécaniquement, définitivement, injuste et illégitime...

Qu'est-ce qui fait naître une nation ? la volonté nationale, d'abord, évidemment, si minoritaire qu'elle puisse être. Et sa répression, ensuite. Lorsque les nationalistes et les socialistes irlandais déclenchent, ensemble, l'insurrection de Pâques 1916, ils sont quelques centaines, et ils sont seuls : les Irlandais les prennent pour des fous. Mais lorsque les Anglais les massacrent et exécutent leurs chefs, ces insurgés totalement minoritaires deviennent des héros et l'Irlande se soulève, à leur appel posthume. Est-ce à cela que Madrid veut arriver en Catalogne ? Il semble, finalement, que non : Rajoy a admis que la constitution pouvait être révisée et que le dialogue pouvait s'instaurer. Mais il aura pour cela, en Catalogne, fallu un référendum saboté par le pouvoir central, et une proclamation d'indépendance suspendue par le pouvoir catalan...
Quand on vous dit que la Catalogne existe, et pas seulement comme une circonscription administrative...


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