Interdiction du voile "islamique" intégral : On votera. Nul. Forcément.



Donc, l'initiative crypto-udéciste pour, formellement, l'interdiction de se cacher le visage dans l'espace public, et en motivation réelle pour l'interdiction des diverses formes de "voile islamique intégral" (d'où sa désignation désormais commune d'"initiative anti-burqa"), a abouti (grâce à un nombre exceptionnellement élevé de signatures en provenance de Suisse centrale...), a été déposée à la mi-septembre, et sera soumise au peuple, vraisemblablement en pleine campagne électorale pour les fédérales de 2019. Le Conseil des Etats avait déjà sèchement refusé une initiative parlementaire visant le même objectif, en estimant que ce n'était pas à la Confédération de légiférer sur un problème, relevant soit du symbolique (la burqa considérée comme un symbole, évidemment patent, de l'oppression des femmes ou, plus fantasmatique, de l'"islamisation de la société"), du maintien de l'ordre public, ce qui est de la compétence institutionnelle des cantons, voire des communes.

Contraindre ou interdire procède du même rapport d'autorité

La France, la Belgique, le Maroc et le Tessin ont déjà interdit, sur et dans les lieux publics, les vêtures couvrant le visage. Il n'y a donc pas d'obstacle formel à ce que la Suisse le fasse, comme le demande l'initiative populaire qui vient d'aboutir. Sauf qu'en Suisse, ce n'est pas à l'Etat fédéral de se prononcer sur un tel objet mais aux Etats fédérés : les cantons, qui peuvent, comme le Tessin l'a fait, interdire ces vêtures pour des raisons d'ordre public -les raisons religieuses n'entrant pas juridiquement en ligne de compte, ce qui explique d'ailleurs que le texte de l'initiative fédérale ne soit pas, formellement, un texte contre le voile "islamique" des visages (féminins, exclusivement...) mais un texte contre la dissimulation des visages. Sauf que l'interdiction de cette dissimulation sera levée dans si nombreux cas pour de si nombreuses raisons (sportives, médicales, sécuritaires, professionnelles, carnavalesques...) que n'en subsistera finalement que l'interdiction d'une dissimulation du visage sous prétexte religieux. Serait-ce alors une question religieuse que nous y répondrions en spinozistes : la religion est affaire intérieure à la personne. Et l’irréligion de même. Que parlent les prêtres tant qu’ils veulent : ils n’ont à parler qu’aux individus, et rien à dire à la société. Et que l’Etat ne s’en mêle pas : si laïc qu’il se veuille, il ne vaut pas mieux que l’église, la synagogue ou la mosquée. Qu’ils restent au fourreau ou dans la coupelle, sabres et goupillons : car c'est une bien étrange conception de la laïcité que celle qui attend du politique qu'il définisse le religieux (comme naguère le religieux prétendait définir le politique), trie ce qui est religieux de ce qui ne l'est pas, et d'entre ce qui est religieux ce qui est reconnu, institué, de ce qui ne l'est pas... et le voile religieux autorisé (celui des religieuses catholiques, par exemple) de celui qui est proscrit (celui des intégristes musulmanes, par exemple).

Reste qu'au strict sens de la question posée, ceux qui voteront OUI à l'initiative dite "contre la burqa" ne voteront pas "contre la burqa" mais pour l'interdiction de se cacher le visage dans l'espace public. Et que ceux qui voteront NON ne voteront pas "pour la burqa" mais pour le statu quo, considérant que le dispositif légal actuel suffit. Parce que deux choses l'une : ou bien on est dans une problématique religieuse, et elle ne relève de la compétence de l'Etat, sauf à renoncer à toute laïcité cohérente, ou bien on est dans une problématique d'ordre public, et ce sont aussi les cantons, et les communes, qui ont à l'assumer. Quant à ceux qui voteront nul, il le feront pour constater ("votez nul, vous n'avez pas le choix"...) précisément la nullité formelle et fondamentale du choix proposé.

« Une liberté n'est pas une liberté si elle demeure au service de l'Etat, de la morale ou de la loi » (Max Stirner) : quand l’Etat ou le prêtre se mêle de nous dire comment nous vêtir ou nous dévêtir, ni l’un, ni l’autre ne sont motivés par autre chose que par le dur désir du contrôle des corps, par l’interdit fait aux hommes et, surtout, aux femmes, d’en disposer. Sous la burqa et le niqab se calfeutre évidemment moins le corps des femmes que la vieille volonté patriarcale de le posséder, le maîtriser, se le garder pour soi et sa famille, au prétexte de Dieu, du Prophète, du Livre ou quelque autre prétexte de la même barrique. Mais sous l'interdiction de la burqa et du niqab, se niche-t-il autre chose que cette même prétention de décider comment les femmes doivent se vêtir ou se dévêtir ? Et a-t-on jamais, où que ce soit, réellement défendu les droits des femmes par des prescriptions vestimentaires ne s'appliquant qu'à elles, que ce soit sous forme d'obligation ou d'interdiction ? Contraindre ou interdire procède du même rapport d'autorité, en lequel, autant que possible, on attend de la servitude volontaire (à la loi, ici) qu'elle supplée à la répression : la Boétie n'a pas attendu les salafistes pour en décrire la pérennité, l'universalité et les méfaits.

On peut certes « interdire par principe de liberté » : c'est le « pas de liberté pour les ennemis de la liberté » de Saint-Just (qui impliquerait cependant que l'on punisse ceux qui imposent à des femmes de s'empaqueter dans une burqa, plutôt que ces femmes elles-mêmes), mais c'est parfaitement inutile : rien de ce qui est interdit n'est impossible. L'interdiction constate même la possibilité de ce qu'on interdit... et par définition, toute liberté est absolue : c'est la légalité qui est limitée, puisque son respect ou son irrespect découle toujours d'un choix, d'une évaluation des avantages et des inconvénients d'obtempérer ou non, et d'une pesée de l'importance des motifs qu'on aurait à ne pas faire ce qu'on nous dit de faire, ou à faire ce qu'on nous interdit de faire -et qu'en interdisant, on épice de quelque saveur transgressive, ce qui, dans le cas des vêtures religieuses, est vraiment faire à des prescriptions sectaires, machistes et régressives un honneur qu'elles ne méritent pas.

Commentaires

Articles les plus consultés