Répression d'un référendum d'autodétermination : Hommage à la Catalogne ?



5,5 millions d'habitantes et d'habitants de la Catalogne étaient appelés aux urnes. Combien ont pu voter ? Impossible à savoir précisément -mais devant les quelques locaux accessibles, la foule se pressait et attendait des heures pour pouvoir voter, alors que dix millions de bulletins de vote avaient été saisis et que les électeurs étaient invités à les imprimer chez eux. Pour les déposer dans des urnes dont la localisation avait été rendue incertaine par la mise sous scellés de la plupart des locaux de vote. Hommage post-orwellien à la Catalogne : 10'000 policiers, gardes civils et militaires espagnols y avaient été dépêchés pour empêcher le référendum, sans y arriver réellement, mais créant, écrit l'AFP, une "ambiance d'état de siège", d'"occupation". Des milliers d'"unionistes" (intéressante, d'ailleurs, cette reprise d'une terminologie nord-irlandaise pour désigner les partisans du maintien de la Catalogne dans l'Espagne, comme ceux du maintien de l'Irlande du Nord dans le Royaume-Uni...) ont manifesté hier à Madrid et Barcelone contre l'éventuelle indépendance de la Catalogne, mais 40'000 personnes ont aussi manifesté à Bilbao pour soutenir le droit des Catalans à se prononcer sur le projet d'indépendance. Et après les violences policières de dimanche (tirs de balles en caoutchouc, matraquages, au moins une centaine de blessés), c'est à la grève générale, mardi, que les Catalans étaient appelés...

Segur que tomba, tomba, tomba...


La Catalogne, c'est un peu plus de 15 % de la population de toute l'Espagne, et un peu moins de 20 % de sa richesse nationale. Est-ce que cela pèse trop lourd pour qu'on lui laisse le droit, même pas de proclamer son indépendance, mais de se prononcer sur cette revendication, jusque-là minoritaire au sein de la population de la Catalogne ? Les derniers sondages crédibles sur le référendum catalan, ceux tombés avant que le gouvernement espagnol tente une gigantesque opération de force pour l'empêcher, donnaient plus de 49 % d'opposants à l'indépendance, contre un peu plus de 41 % pour. Mais surtout, ils donnaient plus de 80 % de partisans d'une consultation référendaire, quel qu'en soit le résultat. L'opération de sabotage du référendum catalan lancée par Madrid relève ainsi de la pure stupidité, et son seul résultat est, très vraisemblablement, de renforcer le camp indépendantiste, qui serait sorti minoritaire d'une consultation qu'on aurait laissé se faire librement. Le gouvernement de Madrid, le parti au pouvoir (le PP) et le Premier ministre ont réussi à fabriquer plus d'indépendantistes en quelques mois que les partis indépendantistes catalans eux-mêmes. Ces derniers jours, la "question catalane" n'était même plus celle de l'indépendance, mais celle de l'autodétermination, c'est-à-dire du droit de voter, et c'était moins le référendum voulu par la Generalitat qui "déchirait" les Catalans (ou la Catalogne) que son interdiction et son sabotage par le pouvoir central espagnol. "En Catalogne, il n'y a aujourd'hui plus de place pour la nuance" regrette le maire socialiste de Lleida (Lerida), et "c'est le moment le plus difficile depuis la Transition". La faute à qui ?

Le droit à l'autodétermination "est universel et ne doit pas être appliqué à la carte", résume le professeur Alfred De Zayas, dans "Le Temps" de jeudi dernier, et quand il y a contradiction entre ce droit et le principe de l'intégrité territoriale d'un Etat, c'est le droit à l'autodétermination, en tant que droit humain, qui doit l'emporter. Et l'emporter même sur le respect de la constitution de l'Etat dont on fait partie et dont on envisage de, peut-être, se séparer. Ainsi, en un quart de siècle, une dizaine de nations européennes ont proclamé leur indépendance en tant qu'Etat, en se séparant de l'Etat (ou en séparant l'Etat) dont elles étaient une composante : la Lituanie, l'Estonie, la Lettonie, l'Ukraine, la Biélorussie, la Slovénie, la Croatie, la Bosnie, la Macédoine, le Monténégro, la Kosovë, la République tchèque, la Slovaquie... ajoutons-y encore les deux nations du Caucase, l'Arménie et l'Azerbaïdjan... aucun de ces Etats n'est né en respectant la constitution des Etats dont ils se sont séparés. Certes, ces constitutions (la Soviétique, la Yougoslave) n'étaient pas des constitutions "démocratiques" au sens où nous l'entendons en Europe occidentale, mais si nous remontons un peu plus loin dans l'histoire de notre semi-continent, et prenons les exemples d'Etats nouveaux créés à partir d'un processus d'autodétermination nationale, le même constat reste valide : leur indépendance a été acquise au terme d'une lutte menée dans dans la confrontation, le plus souvent armée, avec l'Etat "démocratique" qui les dominait, en total irrespect de la Constitution ou des lois de cet Etat : l'Irlande n'est pas devenue indépendante de la Grande-Bretagne en respectant les lois britanniques, et Chypre non plus, ni l'Algérie de la France en respectant la constitution et les lois françaises, ni même l'Islande en respectant la constitution et les lois danoises... l'existence de l'Union européenne, et le fait que l'Espagne en fasse partie, change-t-elle la donne ? pas vraiment, si on pose le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et celui des nations à l'autodétermination comme un principe fondamental -et pas seulement le principe instrumental de la décolonisation. Et ce qui vaut aujourd'hui pour la Catalogne vaut aussi pour le Pays Basque, la Galice, l'Ecosse, le Pays de Galles, l'Irlande du Nord, la Corse ou le Groenland : le droit à l'autodétermination n'est pas un mécanisme menant inéluctablement vers la séparation et l'indépendance (ou, dans le cas de l'Irlande, la réunification), mais un droit de se prononcer sur (pour ou contre) elles. L'autodétermination ne mène pas forcément à la création d'un Etat -elle peut tout aussi bien mener à une autonomie élargie, ou à la pérennisation du statu quo- mais elle est un processus démocratique. C'est ce processus que le gouvernement espagnol a tout fait pour entraver, en entravant par conséquent une expression démocratique.
Faut-il s'en étonner ? après tout, le projet indépendantiste catalan est celui d'une République, et le Premier ministre espagnol Mariano Rajoy, fut le bras-droit de Manuel Fraga Iribarne, ancien ministre de la propagande de Franco...

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