Révolutions et contre-révolution russes : Que commémore-t-on ?


Il y aura cent ans en novembre prochain, la Russie, entrée en révolution en mars, voyait une force révolutionnaire totalement minoritaire prendre le pouvoir sur les autres. "Il revient aux plus faibles devenus à leur tour les plus forts d'appliquer sans merci les rigueurs de la loi. Mais sitôt la première ivresse éteinte se font jour les sordides calculs du ressentiment, les visées ambitieuses, la surenchère partisane, tout moyen étant bon, les principes rejetés sans vergogne, pour défendre le terrain conquis et s'y ailler la meilleure part. Ainsi tombent les masques à la fin de la fête, qui découvrent l’écœurante nudité des visages" : ne croirait pas que Louis-René des Forêts écrive ainsi du parcours de la révolution russe (ou des révolutions russes, au pluriel : celle, avortée, de 1905, puis celles de février-mars et d'octobre-novembre 1917) ? En novembre, on commémorera la "révolution d'Octobre". Une révolution, vraiment, ou une contre-révolution ?

"Un parti ne fait pas une révolution; un parti ne peut rien faire de plus qu'organiser un coup d'Etat, et un coup d'Etat n'est pas une révolution".


C'est une véritable contre-révolution qu'installent en Russie, dès 1918, les bolchéviks arrivés au pouvoir l'année précédente. La révolution, elle s'était faite en février (mars) 1917, et si le putsch d'octobre (novembre) suivant ne l'avait pas immédiatement éteinte, il ne faudra guère qu'un an à ses auteurs, arrivés au pouvoir et l'exerçant autant contre les adversaires de la Russie soviétique que contre les autres courants révolutionnaires, pour annihiler les conquêtes de la révolution. La révolution de février abolit la peine de mort -les bolchéviks la rétabliront, prononce une amnistie générale de tous les prisonniers politiques -les bolchéviks rempliront les prisons et ressusciteront les camps, instaure la journée de travail de huit heures -les bolchéviks instaureront la journée de travail gratuite mais obligatoire : les "samedis communistes", proclame les libertés de la presse, de l'expression, de l'opinion, de réunion -les bolchéviks les aboliront et le droit des nations non-russes de l'empire à l'autodétermination -les bolchéviks l'écraseront. C'est aussi la révolution de février qui ressuscitera les soviets -que les bolchéviks instrumentaliseront, et verra se créer des syndicats indépendants des partis et de l'Etat, qui, tous, seront autoritairement fondus par les bolchéviks dans un syndicat unique, sous tutelle du parti et de l'Etat...
Le syndicaliste révolutionnaire allemand Karl Roches, pourtant plus favorable que ses camarades aux bolchéviks, écrit en 1919 : "Nous rejetons l'Etat parce qu'il ne convient pas au socialisme. Nous acceptons la Commune parce qu'elle donne aux travailleurs la possibilité de se gouverner". Et "Der Syndicalist" ajoute : "Nous savons que les propagandistes de la dictature du prolétariat n'aspirent qu'à une dictature de la direction du parti. Nous savons que la liberté intellectuelle sera complètement bâillonnée. (...) Nous savons que les partis communistes ne sont en réalité pas communistes mais collectivistes (...); Nous, syndicalistes révolutionnaires, rejetons le centralisme, nous sommes fédéralistes, partisans du principe des alliances libres, des contrats libres entre les syndicats et les coopératives de production". Alexandre Berkman, dénonçant le "mythe bolchévik" dénonce une "dictature du Parti" (bolchévik), son "absolutisme irresponsable", la transformation des "apôtres de la liberté" en "bourreaux du peuple". L'efficacité bolchévique dans la prise et l'exercice du pouvoir impressionnera et inspirera d'ailleurs Mussolini, alors socialiste : le concept d'un parti tendu vers la prise du pouvoir et son exercice exclusif de toute autre formation politique, le concept de l'avant-garde formée de révolutionnaires professionnels, l'usage de la violence, tout cela qualifie à la fois le parti bolchévik et ce qui sera le parti fasciste : "Cette fois, la révolution avait des muscles. Elle devait vaincre et elle a triomphé (...). Journées historiques qui commencent une ère nouvelle".
Ángel Pestaña, représentant de la CNT espagnole (et anarchiste) au congrès de 1920 de l'Internationale communiste, à laquelle la CNT envisagea, un temps, d'adhérer avant de se rendre compte qu'elle n'avait rien à y faire, résume : "La révolution n'est pas, et ne peut pas être, le travail d'un parti. Un parti ne fait pas une révolution; un parti ne peut rien faire de plus qu'organiser un coup d'Etat, et un coup d'Etat n'est pas une révolution".

Commentaires

Articles les plus consultés