Vers la fin de l'impunité des multinationales ?


Un vieux mot : l'internationalisme

Dès aujourd'hui et jusqu'à vendredi, à Genève, en même temps que se réunira le Groupe de travail intergouvernemental de l'ONU chargé de préparer un traité, qui pourrait être contraignant, sur les entreprises (dont les multinationales) et les droits humains, plus de 200 organisations, associations, mouvements sociaux du monde entier appellent (
https://www.stopcorporateimpunity.org/) à la mobilisation contre l'impunité totale dont jouissent les multinationales pour les violations qu'elles perpètrent des droits et des libertés individuelles et collectives : accaparement des terres, pollution des terres, des eaux et de l'air, violations des droits politiques, corruption... Ce dont il s'agit pour ces mouvements, et pour nous, est d'une ambition considérable : affirmer la primauté des droits des personnes et des peuples sur ceux des financiers et des marchés. Et pour l'affirmer, soutenir les résistances sur le terrain, et les mouvements qui les assument. Cela porte un vieux nom : l'internationalisme. Un vieux mot pour une exigence pérenne.

La parole au peuple : tout ce que les potentats de l'économie et de la finance détestent.


Un groupe de travail des Nations Unies a été chargé de préparer un traité créant la base juridique permettant de rendre les multinationales légalement responsables, devant une juridiction internationale à créer ou devant les juridictions nationales, des violations des droits humains dont elles se rendent coupables. Noble objectif, dont on mesure ce qu'il représente de menaces pour des pouvoirs économiques qui, aujourd'hui, supplantent ceux de la quasi totalité des Etats (à deux ou trois exceptions près : les USA, la Chine, peut-être la Russie...), qu'on les considère séparément ou formant ensemble une "communauté internationale" singulièrement dépourvue de pouvoir de contrainte sur les plus puissantes des entreprises privées.
Ces sociétés échappent actuellement à toute poursuite judiciaire, faute de volonté ou de capacité des Etats à les poursuivre, et faute d'un instrument de droit international : elles polluent, font assassiner des militants syndicaux, font travailler des enfants ou des prisonniers, sans vergogne et sans risque. En revanche, lorsque des Etats, des régions, des villes, se permettent de prendre des décisions qui, pour protéger l'environnement ou les droits fondamentaux, atteignent à leur profits réels ou escomptés, elles poursuivent ces collectivités publiques et leur extorquent des indemnités pharamineuses : 90 millions de dollars à Cargill par le Mexique qui avait introduit une taxe sur les sodas, 25 millions de dollars à Tampa Electric par le Guatemala pour avoir plafonné les tarifs de fourniture de l'électricité... L'impunité est à sens unique : elle ne bénéficie actuellement qu'aux multinationales. C'est ce privilège qu'il s'agit d'abolir, c'est cette forme-là de mondialisation qu'il s'agit de combattre.

Certes, loin d’être considérée a priori comme une menace ou une calamité, la mondialisation capitaliste a été saluée par les théoriciens socialistes comme une force révolutionnaire formidable : « Par son exploitation du marché mondial, la bourgeoisie a rendu cosmopolites la production et la consommation de tous les pays. Pour le plus grand regret des réactionnaires, elle a retiré à l’industrie sa base nationale », jubilaient Marx et Engels dans le Manifeste Communiste. De ce point de vue, qui est aussi le nôtre, tout ce qui peut casser les frontières, constituer au-dessus, au-dessous, à côté d’elles,  des liens de solidarité et de réciprocité, une conscience commune et des luttes communes, est bon à prendre : les enclos sont faits pour le bétail, pas pour les citoyens. Pour autant, la mondialisation capitaliste, aujourd'hui, n'est plus la cette force révolutionnaire que saluaient Marx et Engels : elle n'est plus porteuse que d'une formidable régression des droits démocratiques, et d'un rapetissement de l'espace du politique au profit exclusif de l'espace d'un marché dominé par une brassée de multinationales elles-mêmes dominées par une poignée d'oligarques.

L'enjeu mondial est aussi un enjeu national : ainsi du traité TISA, en cours de négociation (la Suisse en est), qui se propose de libéraliser les services publics, c'est-à-dire de les soumettre à la loi du marché. TISA touche tous les services, y compris les services publics (des transports publics aux hôpitaux, des universités aux prisons, de la voirie à la poste), toutes les collectivités publiques, des Etats centraux aux municipalités, et impose de traiter tous les fournisseurs (privés) de manière égale entre eux, et égale aux fournisseurs publics. La Suisse a certes prévu d'exclure dans toute la mesure du possible le secteur public du champ de l'accord, mais dès lors qu'une partie du secteur public se retrouverait privatisée, cette partie se retrouverait concernée par l'accord (tel serait le cas si, par exemple, l'exploitation des lignes ferroviaires était séparée de leur infrastructure, et que l'une ou l'autre était privatisée). Trois cantons (Genève, Vaud et Zoug) et de nombreuses communes (dont Genève et Lausanne) se sont déclarés "zone hors TISA", et en Suisse l'enjeu va être de soumettre TISA au référendum. Et, l'année prochaine, de faire accepter par le peuple (et les cantons) l'initiative populaire pour des multinationales responsables, qui exige que les multinationales basées en Suisse répondent en Suisse des violations des droits fondamentaux qu'elles commettent à l'étranger. Le Conseil fédéral recommande évidemment le rejet de l'initiative, au nom de la "compétitivité économique de la Suisse". Les Chambres fédérales suivront sans nul doute cet avis. La parole de décision sera au peuple : c'est tout ce que les potentats de l'économie et de la finance détestent.
Et c'est tout ce que signifie, étymologiquement et politiquement, le mot de "démocratie". Un gros mot, assurément.

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