Hommage genevois à Violeta Parra aujourd'hui vendredi 24 novembre

GRACIAS A LA VIOLETA


Le 28 mars dernier, la présidente chilienne Michelle Bachelet inaugurait à Genève, au collège Voltaire, une plaque rendant hommage à Violeta Parra, sur les lieux (démolis depuis lors) où elle vécut entre 1963 et 1964 avec son compagnon, Gilbert Favre. Soeur d'un grand poète (Nicanor Parra), mère de deux grands chanteurs (Angel et Isabel) emblématiques (avec Victor Jara, supplicié par les soudards de Pinochet) de la nueva canción chilena, accompagnant les luttes du peuple chilien, mais héritière aussi de la chanson populaire chilienne, la Lira Popular et de ses auteurs anonymes, Violeta Parra est devenue une incarnation du "Chili d'en bas". Luis Sepulveda dit d'elle  : "un de ses grands mérites a été celui d'assumer une identité contradictoire comme peut être l'identité métisse, mais cette femme ne voulait pas être la moitié de rien. Elle ne voulait pas être "moitié indienne", "moitié mapuche". La Violeta se sentait d'une identité volcanique qui la faisait être indienne à 100 %, rebelle à 100 % et à 100 % européenne quand elle vivait en France et en Suisse".


VENDREDI 24 NOVEMBRE, GENEVE
Hommage à Violeta Parra
Dès 17 h. 45, Salle Frank Martin
(Collège Calvin)
Hommages a Violeta Parra, souvenirs de ses passages à Genève dès 17 h. 50
Concert "Gracias a la vida" dès 20 heures



"...y el canto de ustedes que es el mismo canto y el canto de todos que es mi proprio canto" (Violeta Parra)


Je ne souviens plus de la date. Ni même du mois. Ni même de la saison. A peine de l'année : 1963. J'avais onze ans. Un jour est arrivée chez nous une femme qui ne ressemblait à aucune de celles qu'on connaissait : "C'était une femme de taille moyenne (je m'en souvenais comme d'une femme petite...), avec un visage chaud au teint brun olivâtre, des yeux obscurs et profonds, des cheveux noirs et lisses" (Patricio Manns),  venant d'un pays dont on n'avait à peine entendu parler. Elle s'appelait Violeta Parra. . Elle venait avec son fils Angel et sa fille Isabel, nous laisser quelque temps sa fille Carmen et sa petite fille Tita (pour Cristina) et qu'on disait Titina, et qui avait l'âge de mon frère. Violeta arrivait à Genève avec son compagnon, Gilbert Favre. Violeta s'installa chez Gilbert, dans son gourbi de la rue Voltaire. Angel et Isabel repartirent à Paris. Carmen-Luisa et Tita restèrent à Genève. Chez nous, à Onex. Parce que dans la "Cour des Miracles" du 15 rue Voltaire, nul autre que Gilbert et Violeta ne pouvait vivre -et surtout pas des enfants.
Les 9, 11 et 17 mars 1963, au Théâtre de la Cour Saint-Pierre, à Genève, L'"Ensemble Violeta Parra" donnait un récital de "chants et danses du Chili et des Andes". L'Ensemble ? La famille, la tribu : Violeta, Isabel, Angel, Carmen Luisa, Tita...


En 1965, Violeta revint au Chili. Gilbert l'y rejoignit. Et en repartit.  Angel  était retourné au Chili en 1964. Dans une vieille maison de Santiago, avec Isabel et quelques autres amis (Rolando Alarcon, Patricio Manns) il ouvrait "La Pena". Un peu plus tard, Victor Jara les rejoignait. En 1965, à son tour, Violeta revint au Chili, et ouvrit "La Carpa" : "quand tant de portes se referment, quand il y a tant de bureaucratie et tant d'imbécillité trottant dans les rues ou se vernissant les ongles dans les bureaux, il faut essayer d'inventer un moyen de se faire entendre et comprendre". En 1967, il y a cinquante ans, Violeta qui était née en 1917, il y a cent ans, se donnait la mort (elle l'avait déjà tenté un an auparavant) : "sa mort fut aussi un acte de rébelion" (Luis Sepulveda).

"Pourquoi ai-je quitté le Chili
quand j'étais si bien là-bas
j'erre maintenant en terres étrangères
en chantant, oui, mais l'âme en peine.

Je garde en moi une épine
qui ne cesse de me blesser
et mon coeur souffre
pour sa terre chilienne"
   
Comment nous était-elle arrivée, Violeta ? sans doute par les mêmes réseaux qui avaient amené chez nous des Algériens pendant la guerre d'Algérie, et des Guinéens (dont Fodeba Keita), pendant la décolonisation. Des réseaux communistes, du moins à l'origine, et dont nos parents, qui avaient été membres du Parti du Travail et l'avaient quitté pour suivre Léon Nicole dans sa tentative de créer un nouveau parti de gauche (qui ne tint que quelques années avant de disparaître), étaient restés proches (notre père tint même une librairie diffusant les publications soviétiques, chinoises, tchèques en français pendant qu'un vieux russe diffusait au sous-sol de la même librairie les publications en russe). Parce que c'était cela aussi, le mouvement communiste, et que c'est peut-être cela qui en restera dans la courte colonne de son actif : une solidarité internationale, quelque chose qui, au niveau des militants de base, des sympathisants, tenait d'un sentiment non calculé de fraternité... Violeta Parra avait été, brièvement, membre du PC chilien, vers 1946, elle en était resté proche... et ce n'étaient certainement pas des cercles culturels de droite qui, lorsqu'elle vint en Europe, organisaient pour elle des expositions et des concerts... et des tournées en Europe de l'est.
Nous ignorions tout de Violeta Parra lorsque sa fille Carmen Luisa et sa petite fille Tita nous arrivèrent. Et nous ignorions tout du Chili. Ce n'était pas seulement une ignorance propre à notre âge, ni de l'éloignement du Chili, c'était que le Chili n'était dans l'agenda, dans les préoccupations, dans les urgences de personne, ici, dans les années soixante -il ne le deviendra que par la tragédie de la décennie suivante. On a regardé une carte, on a vu un interminable ruban courant le long de l'Amérique du sud, une épée entre l'océan et les Andes. Un peu plus tard, on nous a dit que le président du Chili (Eduardo Frei, président de 1964 à 1970) était un peu suisse, qu'il prétendait mener une "révolution en liberté" mais qu'il ne révolutionnait ni ne libérait pas grand chose (
"Regardez comme sourient les présidents quand ils font des promesses à l'innocent"). Cela ne nous disait pas grand chose du Chili -les chants de Violeta nous dirent le reste, tout le reste. Ce qu'il fallait en savoir. Son histoire, sa terre, les luttes de son peuple, les rêves de ses femmes et de ses hommes.
"Voyez le grouillement des surveillants
pour arroser de fleurs l'étudiant
...
Voyez comme brillent les policiers
pour récompenser les ouvriers
...
Voyez comme s'habillent caporal et sergent
pour teindre de rouge les pavés".



Et surtout, on a appris qui était Violeta. Et que le 15 rue Voltaire pouvait bien, et pas seulement pour les conditions de vie qui y régnaient, porter le surnom de "Cour des Miracles". Parce qu'elle était l'un de ces miracles, La Violeta. Elle écrivait, chantait, dessinait, brodait, sculptait, tissait, fabriquait des jouets.  La poétesse, la musicienne, l'amoureuse, l'artiste et l'artisane, la militante, c'était tout une : "Je chante le différence qu'il y a du vrai et du faux". Et ce que les chants de Violeta ne disaient pas, ou qu'on ne comprenait pas, ses dessins, ses peintures, ses tissages, ses sculptures, ses jouets, le montraient.


Que nous en reste-t-il, un demi-siècle plus tard ? Quelques objets (des disques, une marionnette, l'affiche d'un concert de Violeta, son fils, ses filles et sa petite-fille, organisé par notre père...),quelques souvenirs, uelques images de télévision (https://www.rts.ch/archives/tv/divers/documentaires/8951109-violeta-parra.html)
des mélodies, des mots, ceux de Violeta, ceux sur Violeta. Ceux, par exemple, de Luis Sepulveda : "Pour moi et, je crois, pour beaucoup d'hommes et de femmes de ma génération, Violeta Parra, "la Violeta" comme on l'appelle au Chili, est un ange laïc, une icône de rébellion, de non-conformisme et d'amour pour son peuple".

"Et sa conscience dit alors :
chante l'homme dans sa douleur
dans sa misère et sa sueur
et dans sa raison d'exister"
(Violeta Parra)






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