Les media de service public invités au silence sur "No Billag"


Débat avec muselière ?

En mars prochain, les Suissesses et les Suisses voteront sur une initiative populaire "No Billag", qui propose la suppression de la redevance d'accès aux programmes des media publics (la SSR). Un débat s'est donc ouvert, et va se tenir pendant quatre mois encore, sur cette initiative. Mais quel débat, dans quelles conditions ? Les dirigeants de la SSR ont édicté des règles strictes imposant à ses responsables, ses porte-paroles et ses collaborateurs, et même à ses programmes, un devoir de réserve s'appliquant à toute la période de campagne sur l'initiative. La SSR a même décidé de cesser toute campagne de promotion de ses chaînes et de ses services. Le service public de media renonce à se défendre ? c'est pousser fort loin le souci de ne pas donner aux partisans d'une initiative qui menace frontalement son existence, l'occasion de faire, à leur niveau et à leur manière, du "trumpisme" en se présentant comme les adversaires valeureux (et brimés) d'un "monopole" illégitime. En Romandie, la RTS a invité ses collaborateurs de mettre une sourdine à leur expression sur les réseaux sociaux, de n'y intervenir qu'en dehors de leur temps de travail et "d'éviter toute attaque directe et de garder leur calme". Admettre que les collaborateurs de la SSR sont aussi des citoyens, et qu'en tant que tels ils sont libres de leur opinion et de leur expression quand ils s'expriment à titre personnel, est-ce trop exiger ? Comment débattre sur les radios et télévisions de service public, et même sur les réseaux sociaux, d'une initiative qui menace le service public ? En faisant silence sur la menace ?

N'avons nous « jamais cessé de confier le sort de nos libertés à ceux qui se flattaient le mieux de nous en dépouiller » ?

L'adoption par le peuple, malgré eux, et de justesse (4000 voix) d'une nouvelle loi sur la radio et la télévision, ni la réduction de la redevance, n'ont pas calmé les adversaires de la SSR en tant que telle, c'est-à-dire en tant que service public, et surtout que service public présent et actif sur un marché publicitaire que les grands groupes médiatiques privés considèrent comme leur chasse gardée.  L'initiative des jeunes UDC et PLR (soutenue déjà par l'UDC zurichoise et le syndicat des PME, l'USAM) vise à supprimer la redevance au prétexte de mettre tous les media du pays sur pied d'égalité -en oubliant que les media publics ont à respecter des cahiers des charges dont les media privés n'ont rien à secouer en ce qui les concerne, eux. "Si l'initiative passe, notre existence s'arrête", résume le directeur de la SSR, Gilles Marchand. C'est précisément ce que cherchent les porte-flingues des media privés -autrement dit, les initiants de "No Billag".

Dans les milieux patronaux et les partis de droite, c'est le mandat de la SSR qui est ciblé, et son offre de 17 programmes de radio, de sept chaînes de télévision et de sites internet. Sous le discours "principiel" et idéologique tenu sur les media, leur liberté et la concurrence, se cachent de gros intérêts économiques (Une "Action pour la liberté des médias" où l'UDC et la droite du PLR sont fort bien représentée, est soutenue par des entreprises privées du secteur, comme ICT), et un gros intérêt pour prendre la plus grosse part possible du gros marché publicitaire suisse (plus de quatre milliards de francs en 2014)...

La SSR assure un service public, mais elle est une entreprise, comme d'ailleurs Swisscom, les CFF ou la Poste. Or cette entreprise n'est pas, et ne peut, dans un petit pays qui parle en quatre langues (plus toutes celles de l'immigration), être rentable : la production est trop coûteuse pour un marché trop petit -ce qui coûte cher, rappelle Gilles Marchand, c'est la production de programmes, pas leur diffusion. Le financement public est donc indispensable à l'entreprise si l'on tient à ce qu'elle continue à assurer sa "mission" de service public au service de la "cohésion nationale", du "pluralisme linguistique" et de la "solidarité confédérale". Sur ce dernier point, si 70 % des revenus de la SSR proviennent de Suisse alémanique, celle-ci n'en reçoit que 45 % sous forme de financement des programmes. La Suisse romande, la Suisse italienne et la Suisse romanche se partagent la majorité des revenus de la société, alors qu'elles ne regroupent ensemble que moins du tiers de la population du pays. Plier la SSR aux règles du marché et de l'économie privée se ferait donc forcément au détriment de la Suisse "latine" et à l'avantage, non pas tant de la Suisse alémanique dans son ensemble que de la métropole qui la domine : Zurich... et de ce qui y domine, économiquement et donc médiatiquement...
Mais après tout s'interroge amèrement Raoul Vaneigem, n'avons nous « jamais cessé de confier le sort de nos libertés à ceux qui se flattaient le mieux de nous en dépouiller » ?

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