Naturalisation des étrangers : état des lieux


Deux mois pour faire le pas

L'Union Syndicale Suisse a lancé, en février dernier, un appel à tous les étrangers nés en Suisse à entamer une procédure de naturalisation, et a invité les villes et les communes à agir pour les y inciter et le leur faciliter. La présidente de l'USS estime ainsi "qu'il est dans l'intérêt d'une démocratie de convaincre autant d'habitants et d'habitantes d'un pays que possible de devenir des citoyens et des citoyennes majeurs et actifs". Dans le même camp, le Parti socialiste suisse a également lancé  un appel ("Nous voulons plus de Suisse pour toutes et tous") pour la naturalisation des personnes au bénéfice d’un permis B tant que cela leur est encore possible, c'est-à-dire jusqu'au 31 décembre de cette année. Le PSS propose à celles et ceux qui désirent acquérir la nationalité suisse d'entrer en contact avec une conseillère ou un conseiller en naturalisation (on s’inscrit ici :
http://www.sp-ps.ch/fr/aide-la-naturalisation). Il reste deux mois pour faire le pas...

La première constitution suisse, celle du premier Etat suisse, celle de la République Helvétique (1798) posait le droit du sol : les "manants nés en Suisse" devenaient citoyens suisses...

2,1 millions d'étrangers résident en Suisse, tous permis confondus. D'entre eux, 920'000 répondent aux conditions de l'obtention de la nationalité suisse, par naturalisation, et 200'000 sont même nés en Suisse et y ont été scolarisés. Mais si ces résidents étrangers répondent aux conditions objectives, rationnelles, d'une naturalisation, il leur faut encore répondre, s'ils souhaitent faire le pas de la naturalisation, répondre à des conditions subjectives, arbitraires et souvent parfaitement irrationnelles, dans le cadre aléatoire de procédures communales disparates et contradictoires. Car si à Genève (de tous les cantons suisses celui qui naturalise le plus en pourcentage de la population étrangère titulaire de permis B ou C), la procédure de naturalisation est l'affaire du canton, depuis toujours (elle était l'affaire de la République quand elle n'était pas encore un canton suisse), ce que maints élus municipaux ont d'ailleurs une peine considérable à admettre, dans le reste de la Suisse, là où l'"esprit républicain" a moins soufflé,  elle est encore souvent d'abord l'affaire de la commune. On se débat ainsi avec un véritable patchwork de procédures différentes, d'émoluments inégaux, d'examens des dossiers différents d'un canton à l'autre, d'une commune à l'autre, voire même d'un dossier à l'autre (ainsi, à Genève, les dossiers des candidates et candidats de moins de 25 ans ne passent pas devant les commissions municipales de naturalisation, là où elles existent, pas plus d'ailleurs que les dossiers faisant l'objet d'un préavis négatif du secteur cantonal des naturalisations). Et on se retrouve donc avec des décisions municipales absurdes, comme un refus de naturalisation pour une famille coupable de se promener en training dans les rues d'un village de Bâle-campagne, ou pour une jeune femme coupable de ne pas savoir où sont les bennes de recyclage dans sa commune argovienne.

Des centaines de milliers d'"étrangers", nés en Suisse, disposent des droits civiques dans le pays d'origine de leurs parents sans y avoir jamais vécu, mais pas dans le pays où ils sont nés et ont toujours vécu. Cette absurdité peut être dépassée, effacée, de deux manières, non exclusives l'une de l'autre : l'élargissement du suffrage universel aux étrangers résidents -à tout le moins celles et ceux qui sont nés en Suisse, et la facilitation de l'octroi de la nationalité suisse (et de la citoyenneté cantonale et du droit de cité municipal qui l'accompagnent) par naturalisation. Or en comparaison européenne, la naturalisation en Suisse est difficile, coûte cher et tient du parcours du combattant. C'est en partie l'effet de la prévalence du "droit du sang" (la nationalité suisse est d'abord acquise par héritage) sur le "droit du sol" (la nationalité est d'abord acquise par le lieu de naissance). La première constitution suisse, celle du premier Etat suisse, celle de la République Helvétique (1798) posait pourtant le droit du sol : les "manants nés en Suisse" devenaient citoyens suisses (art. 19)... Si cette règle, celle du droit du sol, était appliquée en Suisse, un tiers des "étrangers" résidant dans notre pays seraient de notre nationalité...

On n'en est pas là, et de loin : la pratique suisse de la naturalisation est l'une des plus restrictives d'Europe, avec avec celles prévalant en Autriche, au Danemark, au Monténégro, en Moldavie et dans les Etats baltes. Elle est même plus restrictive que la pratique russe. Résultat : le taux de naturalisation (proportion annuelle d'étrangers obtenant la nationalité suisse par naturalisation) est l'un des plus bas d'Europe, . Il est plus de trois fois plus bas en Suisse qu'en Suède ou en France, par exemple (1,8 % contre 6,3 % et 5,3 %en 2014)... et plus de dix fois inférieur à ce qu'il est en Italie (13,6 %) ou en Allemagne (12,3 %). Sans qu'aucune raison objective n'explique ces écarts. Genève a certes naturalisé 6125 étrangères et étrangers en 2016 (un record depuis 2006, et presque depuis 1974), mais près de 80'000 habitantes et habitants du canton répondent aux conditions objectives actuellement posées pour pouvoir présenter une demande de naturalisation. La nouvelle Loi fédérale sur les étrangers dresse cependant quelques obstacles nouveaux sur le chemin des candidates et des candidats à la naturalisation : À partir du 1er janvier 2018, seules les personnes au bénéfice d’un permis C pourront demander le passeport suisse. Pour tous les détenteurs d’un permis B, et pour les fonctionnaires internationaux, cette possibilité n’existera plus (contrairement à aujourd’hui). Dès le 1er janvier 2018, il faudra avoir le permis C (permis d'établissement) pour pouvoir solliciter une naturalisation. La durée exigible de séjour en Suisse passe de douze à dix ans, mais il faudra pouvoir s'exprimer par écrit dans une langue nationale, n'avoir jamais été condamné et ne pas avoir touché l'aide sociale dans les trois ans précédant la demande. On présuppose qu'il s'agit là de critères d'"intégration" -mais on s'interroge sur la pertinence de tels critères, à supposer même qu'on puisse en trouver d'objectifs, dans un processus de naturalisation, puisqu'ils n'ont rien à faire dans l'octroi du droit de vote aux indigènes, dont on ne vérifie nullement l'intégration puisqu'on la présuppose du simple fait qu'ils sont nés suisses, sans qu'ils aient jamais à prouver qu'ils seront de bons Suisses et de bonnes Suissesses.
Ce qui vaut sans doute mieux pour l'auteur de ces lignes.










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