Des élections régionales sur fond de revendication nationale


De la Corse à la Catalogne

Les autonomistes et les nationalistes corses, unis sur la liste "Pè a Corsica" ("Pour la Corse") ont obtenu une victoire historique dimanche, au deuxième tour de l'élection de la nouvelle assemblée territoriale : Avec 56,5 % des suffrages (40 points devant la liste de droite et la liste macroniste, le Front National et les "Insoumis" ayant été éliminés au premier tour avec moins de 10 % des suffrages) et une participation de 52,6 %, ils raflent la majorité des sièges du parlement corse, et sans doute la totalité des sièges du gouvernement régional (le Conseil exécutif), et seront en position de force pour obtenir de Paris davantage (le plus possible...) d'autonomie pour la Corse, dans le cadre français -les nationaliste eux-mêmes n'évoquant plus l'indépendance qu'au terme d'un processus bien plus long qu'une rupture. De quoi donner des idées, à supposer qu'ils en manquent, aux nationalistes et aux autonomistes catalans, qui éliront le 21 décembre leur parlement, lequel élira leur gouvernement ? Peut-être, l'idée principale des autonomistes et des indépendantistes corses étant de constituer démocratiquement un rapport de force qui rende inévitable une véritable négociation, ce à quoi Madrid se refuse avec obstination en Catalogne.


...pour que la crise catalane puisse accoucher d'une démocratisation de l'Espagne...

Il y avait bien des points communs entre la situation politique de la Corse et celle de la Catalogne, et la symbolique dont on y fait usage : dans les deux cas, une coalition de régionalistes et d'indépendantistes, de droite et de gauche, avaient gagné les élections régionales, constitué une majorité au parlement régional et formé le gouvernement régional. Avant les élections d'hier, qu'ils ont gagnées ensemble, l'autonomiste Gilles Simeoni et le nationaliste Jean-Guy Talamoni présidaient déjà l'un la région, l'autre le parlement de Corse, comme Carles Puigdemont la Catalogne et Carme Forcadell l'assemblée catalane.

Les comparaisons entre la Corse et la Catalogne s'arrêteront-elles là, au soir du 21 décembre, date de l'élection du parlement catalan -qui élira le gouvernement régional ? Les sondages donnent une légère avance à l'addition des autonomistes et des indépendantistes, mais contrairement à ce qui s'est fait en Corse, il n'y a pas entre eux de liste commune -seulement un accord pour additionner leurs sièges au parlement quand il s'agira de désigner le gouvernement.
En outre, les élections catalanes auront un impact bien plus fort que celui qu'ont eu les élections corses -un impact national en Espagne, et même un impact en Europe. D'abord, parce que la taille, la population, le poids économique de la Corse et de la Catalogne sont sans proportion. Et que leur poids respectifs en France et en Espagne sont également incomparables. Ensuite, parce que l'élection corse n'est pas l'épisode d'une crise politique nationale aussi grave que celle que ponctue l'élection catalane.
Pour cette élection, les forces politiques catalanes se sont mises en ordre de bataille. Il n'y aura pas de liste unique indépendantiste, les trois tendances de l'indépendantisme seront en concurrence -mais les sièges qu'elles obtiendront s'additionneront au sein du parlement régional, et il n'est pas du tout exclu qu'elles obtiennent ensemble une majorité de ces sièges. Le Parti démocrate de Catalogne (PDeCAT, droite) d'une part, la Gauche Républicaine de Catalogne (ERC) d'autre part réclament tous deux le rétablissement du "gouvernement légitime" de Catalogne, dont une bonne partie des ministres sont soit en prison soit en exil en Bruxelles, avec leur président, Carles Puigdemont. Les deux forces politiques font également campagne, même séparément, sous la triple revendication de "l'indépendance, la République et la liberté". Une liste "transversale" dans laquelle le PDeCAT s'est dilué, "Junts per Catalunya", sera conduite par Carles Puigdemont. Elle est soutenue par l'association "Assemblée nationale catalane" (ANC), dont le leader, Jordi Sanchez, est en prison. Egalement en prison, Oriol Junqueras, vice-président de Puigdemont, conduira pour sa part la liste de l'ERC, sur laquelle figure également l'ex-présidente du Parlement catalan, Carme Forcadell, en liberté provisoire.

Si les Catalans (ou une majorité d'entre eux, qu'ils soient ou non partisans de l'indépendance et donc de la constitution de la Catalogne en Etat) considèrent que, partageant une histoire et une langue commune, ils forment une nation, c'est que qu'une nation catalane existe. Comme existe, et pour les mêmes raisons, et en fonction des mêmes critères, une nation Corse. Mais l'existence d'une nation n'implique pas, ni ne l'y contraint, à se constituer en un Etat indépendant. Ainsi, le "catalanisme" n'est pas réductible à l'indépendantisme : il est aussi, pour nombre de celles et ceux qui en participent, une volonté de transformation, et de démocratisation de toute l'Espagne. Une volonté de sortir du système de la "transition" post-franquiste pour entrer réellement dans un système républicain, démocratique, fédéraliste. Et si près de la moitié des Catalans aujourd'hui se disent partisans de l'indépendance, c'est sans doute surtout faute d'une alternative à la fois à cette indépendance et au maintien de la monarchie "espagnoliste".
En Corse, Gilles Simeoni défend un projet d'"émancipation", une autonomie élargie, avec une capacité législative et une reconnaissance juridique de la nation corse : "je ne vois pas ce que les attributs d'un Etat souverain -une monnaie, une défense- nous apporteraient de plus. Et Jean-Guy Talamoni, indépendantiste pour la Corse et qui a soutenu les indépendantistes catalans, ponctue : "l'indépendance n'est pas à l'ordre du jour maintenant. Ce sera le débat d'après. On ne prévoit rien avant dix ans". L'indépendance reste un projet, et un droit, mais elle peut attendre, l'important est ailleurs : dans la reconnaissance d'une spécificité qui aille au-delà du folklore, et qui s'accompagne de droits, de compétences, de capacités s'exerçant librement, sans tutelle de l'Etat central.
Cela vaut-il pour la Corse en France comme pour la Catalogne en Espagne ? A Madrid gouvernent des gens et des forces politiques qui se refusent à l'admettre, il faudra sans doute que ces gens et ces forces tombent du pouvoir auquel ils et elles s'accrochent pour que la crise catalane puisse accoucher d'une démocratisation de l'Espagne elle-même.
Segur que tomba, tomba, tomba...

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