Les socialistes français déménagent


Souvenirs de Solférino

Le PS français vient de vendre, pour quelques dizaines de millions d'euros, son siège de la rue de Solférino. Un siège somptueux, un hôtel particulier dans un quartier aristobourge. Il y était depuis 1981, dans son manoir, le PS français. Il le quitte, Gros Jean comme devant, après sa lourde défaite aux élections de cette année, la présidentielle et les législatives. La culture de gauche est "imprégnée de mélancolie comme un buvard est imbibé d'encre", nous dit l'historien italien Enzo Traverso, qui rappelle la scansion de grands "moments jubilatoires d'émancipation, d'action collective" et de "défaites, parfois de défaites tragiques". Les socialistes français déménagent, au sens le plus commun du terme (au sens figuré, ils ne déménagent plus guère), mais leur départ de la rue de Solférino ne nous porte à aucune mélancolie, et nos souvenirs de Solférino sont moins tragiques que ceux d'Henry Dunant. On pourra même trouver finalement l'épisode parisien assez moral...

"On pensait que la gauche allait changer le monde. C'est le monde qui a finalement changé la gauche" (Enzo Traverso).


La gauche doit aujourd’hui son échec à elle-même. La résignation au chômage, la coupure avec les milieux populaires, des pratiques trop éloignées de nos idéaux, voilà les raisons de notre affaissement", morigénait Lionel Jospin, en 1993, lors de sa démission de la direction du PS français. A en revenir aux sources de cet "affaissement", on ne peut que constater que le déclin du socialisme français s’est amorcé au moment (le début des années ’80) de ses plus grandes victoires électorales. La social-démocratie française ayant remporté les batailles qui lui importaient le plus, elle perdait la « guerre » qu’elle aurait dû mener dans le temps même où elle investissait les palais présidentiels et gouvernementaux. Ce qu’elle gagnait en poids institutionnel, elle le perdait en hégémonie culturelle et en légitimité sociale ; elle ne tarda guère à mener la même politique que celle qu’à sa place la droite aurait menée, et fit ainsi le contraire de ce pourquoi elle avait été élue. Or ce qui fonde la légitimité d’un mouvement politique est toujours ce qui le distingue de ses concurrents et de ses adversaires ; dès lors que cette distinction ne porte plus que sur les détails et les formes contingentes de politiques aux bases communes ou les parures de décisions que n’importe qui pourrait prendre, et que cette distinction entre la gauche et la droite ne s’exprime plus que par les style et les discours tenus pour justifier des politiques fondamentalement convergentes, la légitimité politique de la gauche se dissout et se réduit à un clientélisme que les théâtres d’ombres du mitterrandisme ne purent cacher que pour un temps, comme ils celèrent les contradictions de projet, de ligne, de culture politique même, qui traversaient le parti né des décombres de la vieille SFIO.
Le PS né du congrès d’Epinay est en train de mourir sous nos yeux désespérément vides de larmes –fussent-elles de crocodiles. Quant aux « insoumis » de Mélenchon, il faudra bien, s'ils ne veulent pas se retrouver dans les mêmes oubliettes de l'Histoire que leur proie, qu’en émerge autre chose qu’une fédération de fossoyeurs du PS n’ayant que cette ambition nécrophagique en commun.
"On pensait que la gauche allait changer le monde. C'est le monde qui a finalement changé la gauche" (Enzo Traverso. Mais quel monde, et quelle gauche ?

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