De "No Billag" à "No ATS", ou le chemin de la désinformation


Canal Moins

Le 8 janvier, l'ATS, notre bonne vieille Agence télégraphique suisse, annonçait une restructuration. D'envergure, la restructuration :
Dans une lettre ouverte aux autorités politiques fédérales et cantonales, la rédaction de l'agence écrit : "Si la restructuration annoncée le 8 janvier est mise en oeuvre, l'ATS ne pourra plus jouer son rôle actuel". Pas plus que la SSR si "No Billag" devait être acceptée par le peuple et le canton le 4 mars. D'ailleurs, dans les deux cas, on voit de grand groupes privés pointer leur mufle, les uns pour créer leur propre agence de presse, les autres pour créer leur propre télévision. Une différence notable doit toutefois être relevée, entre les deux mises à mort - la différence entre une exécution et un suicide : "No Billag" a été lancée contre la SSR par ses adversaires et ses concurrents de la SSR, et c'est le peuple qui décidera de son sort. Alors que "No ATS" est fomentée par l'ATS elle-même. Et que le peuple ne sera pas consulté. Pourtant, c'est bien lui, au bout du parcours de l'information que l'ATS produit, qui est le consommateur de cette information, qu'il reçoit par la presse écrite, mais aussi par la radio, la télévision et l'internet... tous destinataires de ce que l'ATS diffuse...


La seule agence de presse suisse d'ampleur nationale sacrifiée à la logique du profit ?

Par quoi devrait se traduire le plan de restructuration annoncé par la direction de l'ATS, que les journalistes décrivent comme "intraitable" ? Par la suppression d'au moins un quart des 140 postes de la rédaction, dont les effectifs ont déjà fondu de 20 % en quinze ans; par la fusion des rubriques suisse et internationale; par au moins 23 licenciements "secs"; par la réduction forcée du temps de travail et du salaire de 43 personnes; par la suppression de la rubrique économique; par l'absorption de la rédaction de langue italienne par la rédaction de langue française; par la quasi disparition du budget de ses correspondants à l'étranger... C'est dire si le volume et la qualité de l'offre d'information qu'assure l'ATS, en trois langues et à égalité entre elles, sont menacés, et avec eux la fourniture de l'information aux media suisses -une information reprise partout, et qu'elle est seule à fournir à tous les media du pays (pour peu qu'ils y soient abonnés) sur tout ce qui se passe, se dit, s'écrit et se fait dans le pays. Et cette information n'est pas une matière brute : elle a été recherchée, travaillée, vérifiée, contextualisée. Elle est une base de travail pour tous les journalistes de Suisse, mais aussi tous les acteurs politiques, qui la reçoivent soit directement, soit par le truchement des media qu'ils consultent. Et quand on évoque les "acteurs politiques", on évoque évidemment les principaux d'entre eux et elles : les citoyens et les citoyennes.

Cette activité de l'ATS, cette fonction qu'elle remplit, c'est ce qu'on appelle une "mission de service public". Comme la "mission" de la SSR, d'ailleurs. Mais cette mission se heurte à une règle qu'on lui pose et qui n'est pas compatible avec elle : une règle de rentabilité. La restructuration décidée par la direction de l'ATS l'a été après une perte de revenus elle-même consécutive à des décisions de la direction : un rabais général de 10 %, la gratuité du service de vidéos. Et elle s'inscrit en outre comme une conséquence de la fusion (encore à l'examen par la Commission fédérale de la concurrence) de l'ATS et de l'agence (privée) de photos Keystone, d'une part, et de l'entrée de l'agence de presse autrichienne APA dans le capital de l'ATS. En reprenant un modèle d'affaire qui est celui d'une entreprise privée, l'ATS devra verser des dividendes à ses actionnaires. Résumé de sa rédaction : "la seule agence de presse suisse d'ampleur nationale sera ainsi sacrifiée à la logique du profit", alors même que la Confédération la soutient financièrement (en s'abonnant à ses services) et prévoit de lui attribuer une part de la redevance radio-télé (si elle n'est pas supprimée).
Face tout cela, le personnel, réuni en Assemblée générale, exige, mesures de lutte à l'appui (y compris éventuellement une grève) le renoncement à "une suppression de poste d'une telle ampleur", qu'on lui laisse le temps de présenter des contre-propositions, que la direction renonce aux rabais et à la gratuité de la vidéo qu'elle a accordée aux clients, et qu'elle présente un "plan social digne de ce nom". Et tout cela est bien le moins que l'on puisse attendre d'une entreprise assurant un service public. Et bien le moins, aussi, que l'on puisse soutenir : il n'y a pas que la disparition de la SSR qui serait calamiteuse pour le "paysage médiatique" suisse, il y a aussi la rétraction de l'ATS telle que la propose sa propre direction et son propre conseil d'administration : ce suicide vaudrait cet assassinat.

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