Media : Les 150 ans du Courrier, la dernière année de la SSR ?


Le dur désir de durer

"Le Courrier" fête son 150e anniversaire : le premier numéro de ce qui est aujourd'hui le dernier, le seul, quotidien de gauche de Suisse romande, est paru le 5 janvier 1868 comme une "feuille religieuse et nationale", alors hebdomadaire, vouée à défendre les droits des catholiques dans une Genève encore dominée par les protestants et leur église elle aussi "nationale". Intéressante collision de cet anniversaire avec la campagne sur l'initiative "No Billag" : un quotidien papier fête ses 150 ans, avec le dur désir de durer encore longtemps, au moment où on se demande si le medium audiovisuel public survivra à l'offensive de ses adversaires.
On se permet de vous recommander le dernier numéro, exceptionnellement quadrilingue (vu l'enjeu) du magazine « Culture enjeu », qui porte sur l'initiative « No Billag » ... En français, en allemand, en italien et en romanche, on vous dit en quoi il importe que cette initiative purement mercantiliste soit refusée.
http://www.cultureenjeu.ch/

"la Confédération ne subventionne aucune chaîne de radio ou de télévision". Ni publique, ni privée. Point, barre.

En Suisse alémanique, les défenseurs du medium public se réveillent, enfin : vendredi dernier, un comité hors parti "Nein zum Sendeschluss" (Non à la fin des programmes), issu du monde des media, a lancé sa campagne contre "No Billag" en reppelant l'enjeu du vote du 4 mars : l'initiative "ferait disparaître la SSR ainsi que 34 stations de radio et télévisions privées" en les privant de leur base financière". Dimanche, près de 5000 artistes et créateurs culturels ont lancé un appel à voter "non" le 4 mars, en même le très libéral Roger Schawinski, pionner de la télé privée, combat une initiative dont il considère qu'elle changerait plus profondément la Suisse qu'aucune autre avant elle. Cette mobilisation dans la partie majoritaire de ce pays, plus sensible que la Romandie aux sirènes de "No Billag" est bienvenue, parce que même si, optimiste, le président du PS, Christian Levrat, la qualifie de "tellement stupide que nous devrions gagner à 70 %" et la balayer, le danger est réel : après tout, ce ne serait pas la première fois, ni la dernière, qu'une initiative stupide est ou peut être acceptée : souvenez-vous de l'interdiction des minarets, préparez-vous à celle de la burqa et du foulard...
Ce qui fait la force de "No Billag" n'est pas tant son contenu que l'addition potentiellement majoritaire de ceux que ça emmerde de payer une redevance à ceux qui, à droite, exècrent par principe tout medium public et aux éditeurs qui espèrent récupérer la part du marché publicitaire que capte la SSR.

Pour combattre les media publics, et favoriser la privatisation de tout l'espace médiatique audiovisuel de ce pays, les promoteurs de "No Billag" ont, assez intelligemment, visé le maillon faible du dispositif de service public : la société d'encaissement de la redevance. Autrement dit, celle dont le nom orne les factures envoyées aux téléspectateurs et auditeurs. Personne n'aime Billag, et proposer sa suppression (même s'il est déjà prévu qu'elle soit remplacée par une autre)ne va pas susciter des hurlements de désespoir. Proposer clairement la suppression de la SSR eût été plus périlleux : la même proportion de personnes sondées qui déclare vouloir voter pour la suppression de Billag déclare apprécier la SSR et ses programmes, les trois quarts des sondés considérant que l'information est la mission la plus importante du medium public, et la majorité d'entre eux qu'elle est dispensée avec neutralité et objectivité. On est à trois mois de la votation, et il n'est après tout de meilleur argument pour combattre "No Billag" que rappeler son contenu même, qui dément sans aucune ambiguïté toute tentative de faire accroire qu'après le passage de cet Attila des media, l'herbe de l'audio-visuel public (et de tout ce qu'il soutient) pourrait repousser. Le texte de l'initiative est en effet d'une clarté léniniste : "la Confédération ne subventionne aucune chaîne de radio ou de télévision". Ni publique, ni privée. Point, barre.

La SSR n'est pas une radio et une télévision d'Etat, mais une radio et une télévision publique -et ce n'est pas la même chose. Dans tous les pays voisins, la privatisation de media publics a entraîné la dégradation de la qualité de leur offre, alors même que leurs media nationaux peuvent émettre en une seule langue quand en Suisse ils doivent le faire en quatre langues différentes, pour un tout petit "marché" de huit millions d'habitants, dont la RTS quadrilingue est le seul medium national. Sa disparition en tant que service public laisserait le champ libre aux groupes privés (voire même aux media publics) des pays voisins, qui ne le considéreraient guère que comme un prolongement régional (intéressant financièrement, puisqu'habité par une population à haut niveau de vie comparatif) de leur propre marché national. A côté de quoi, quelques télés privées aux programmes anorexiques (étiques, pas éthiques) pourraient subsister. Et Télé Blocher s'étaler.

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