Initiative "antiburqa" : vers un contre-projet indirect



Quand le fétichisme désarme la raison

Le Conseil fédéral, estimant que l'Etat n'a pas à dire à ses citoyennes et citoyens comment ils doivent s'habiller (ce avec quoi nous sommes parfaitement d'accord, soit écrit en passant), propose un contre-projet indirect (le PS aurait préféré un contre-projet direct) à l'initiative "antiburqa" du  comité crypto-l'UDC qui avait déjà commis l'initiative "anti-minarets". Le gouvernement se dit conscient du malaise suscité par la présence, même rare et fugace, de femmes entièrement voilée ("aucune femme ne devrait porter la burqa" résume Simonetta Sommaruga), mais ne tient ni à ce qu'une prescription vestimentaire soit inscrite dans la constitution fédérale, ni à imposer une prescription légale à tous les cantons, le phénomène mis en exergue par l'initiative étant de réalité fort différente d'un canton à l'autre (jusqu'à l'irréalité totale dans certains cantons -lesquels seront certainement ceux qui donneront la plus forte majorité à l' l'initiative). Certains cantons ont déjà interdit le voilage des visages (St-Gall, le Tessin), d'autres s'y sont explicitement refusés (Zurich, Soleure, Schwytz et Glaris, où ce refus a été prononcé par la Landsgemeinde). Ce que le Conseil fédéral pourrait proposer, c'est une disposition pénale réprimant la contrainte exercée sur une personne pour se dissimuler le visage (la contrainte étant déjà, quelle qu'elle soit, punie par le code pénal sans qu'il y ait besoin d'une plainte) et une obligation d'être à visage découvert dans tout rapport avec les autorités. Deux mesures de bon sens, la première permettant en outre de sanctionner les responsables d'une d'une contrainte imposée aux femmes, sans qu'elles aient besoin de porter plainte (il y a poursuite d'office), plutôt que les victimes de cette contrainte. Sauf que le gouvernement lui-même ne se faire sans doute pas beaucoup d'illusions sur la capacité de sa réponse, purement rationnelle, à l'initiative de dissuader le peuple et les cantons d'"interdire la burqa" comme ils ont interdit les minarets (76 % des personnes interrogées dans un sondage effectué en décembre dernier étaient prêtes à voter l'initiative). Le fétichisme, il est vrai, et cela vaut pour celui qui impose le voile ou la burqa comme pour celui qui veulent les prohiber, est assez imperméable à la raison...


"Ce qu'on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre, malgré le dommage qui en résulte souvent"


Quand on pond des articles de constitution, des lois ou des règlements, construits sur l'hypothèse que le niqab, ou le tchador, ou la burqa, ou le hidjab, sont des signes religieux "islamiques", on récompense ceux, intégristes musulmans en l'occurrence, qui ont converti à l'islam une tradition pré-islamique, et on valide cette conversion d'un signe social en signe religieux. Auquel on réduit les femmes qui le manifestent. Cela valait, sur un mode plus bouffon, pour l'interdiction du "burkini" dans les piscines municipales genevoises comme cela vaut pour celle de la burqa, ou de quelque autre signe vestimentaire plus léger, moins empaquetant, auquel on prête (du côté de ceux qui l'impose comme du côté de ceux qui l'abhorrent) bien plus de vertus religieuses ou de vices politiques (car ce signe social et pseudo-religieux est aussi un signe politique) qu'il n'en mérite.

Le débat (si on consent à lui accorder cette qualification) national sur la burqa a ses répliques locales. Alors que le Conseil fédéral, et le parlement, cherchent, sans vraiment les trouver, le moyen de désarmer l'initiative crypto-udéciste dite "antiburqa", en Valais, c'est la "question du voile à l'école", c'est-à-dire de la tolérance ou non du port du voile dit "islamique" par des élèves (une douzaine dans tout le canton), qui a suscité une passe d'arme entre l'UDC et le Conseiller d'Etat PDC Christophe Darbellay, après que le service cantonal de l'enseignement ait proposé un arrêté ou une directive, que l'UDC a dénoncé comme complaisante à l'égard du port par des élèves d'un signe "politique et non religieux".
Cette petite polémique fait suite à la décision du Grand Conseil valaisan de déclarer irrecevable une initiative udéciste "pour des têtes nue dans les écoles valaisannes", initiative qui (comme l'initiative fédérale "antiburqa" posait-elle même un voile généraliste sur ses cibles spécifiques : "Nous savons pertinemment que l'UDC n'a pas de problème avec les casquettes et les chapeaux" mais qu'elle en a un avec l'islam, avait résumé une députée de l'Alliance de Gauche. L'UDC n'est d'ailleurs pas la seule en ce cas : selon un sondage Tamedia de décembre dernier, les Suisses estimaient la proportion de musulmans dans le pays au triple de ce qu'elle est en réalité...
Le rapport du service de l'enseignement sur la question du port du voile par des élèves des écoles publiques pose comme principe que le port de symboles religieux ne doit pas être un obstacle à la bonne communication entre élèves et enseignants, préconise l'interdiction de toute dissimulation du visage et affirme que l'école ne doit accorder aucune dispense de cours inscrits à la grille scolaire, mais l'UDC voit (ou fait mine de voir) dans ces positions une reconnaissance de la "licéité de principe du port du voile à l'école". Christophe Darbellay réfute évidemment les accusations portées contre lui et ses services : non, il n'est pas "laxiste", non, il n'a pas "capitulé", il défend des mesures "pragmatiques" (proposées précédemment par son parti, le PDC), négociées et légales, en respectant à la fois la diversité des origines des élèves et des cultures (y compris religieuses) de leurs familles, et leurs droits fondamentaux : le port d'un vêtement assimilable à une tradition religieuse, ou d'un symbole religieux, ne doit être interdit aux élèves que si des raisons de sécurité l'exigent. Et tous les élèves continueront à être conviés aux activités et aux fêtes scolaires liées au calendrier religieux chrétien (version catholique). Et "les crucifix resteront dans les classes"...
Que demander de plus ? Qu'on sorte de ces débats à la con ? Bah, on peut toujours le demander. Quant à l'obtenir... "Ce qu'on ne peut interdire, il faut nécessairement le permettre, malgré le dommage qui en résulte souvent", soupirait déjà Spinoza... Un soupir qui répond aujourd'hui à la fois à la burqa et à la parodie de débat qu'elle suscite.

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