Rejet massif de l'initiative "No Billag"



Tabula non rasa

La SSR ne mettra pas la clef sous la porte : les Suissesses et les Suisses, même celles et ceux dont on supposait qu'elles et ils pourraient soutenir l'initiative "No Billag" (les plus jeunes, les Tessinois...) l'ont refusée, à une majorité massive (presqu'à trois contre un) du peuple et de tous les cantons. Au final, "No Billag", soutenue par l'UDC et les Jeunes PLR, fait moins bien que l'initiative 1:12 de la JSS et que celle du GSsA pour l'abolition de l'armée. Toutefois, et même s'il est habituel qu'une initiative populaire puisse "décoller" dans les premiers sondages qui la concerne, bien avant que la campagne de votation ait démarré, le fait que cette initiative-là ait pu recueillir dans ces premiers sondages une majorité approbative signifie bien au moins un double questionnement, sur le rôle des media publics, et sur leur financement. Que cette approbation se soit effritée, pour se dissoudre, dans les mois qui suivirent son expression initiale, tient moins du grand complot médiatico-politique évoqué par ses partisans que de sa faiblesse constitutive (consubstantielle à son hypocrisie fondatrice : elle proclamait s'attaquer à la redevance alors qu'elle s'attaquait à la SSR) : en mettant l'accent sur la seule redevance, en ne tenant aucun discours crédible sur le rôle de la SSR, et en confondant le moyen de communication et ses instruments (les postes de radio et de télévision) avec le producteur du contenu communiqué (comme si regarder une émission de la SSR sur internet par un ordinateur ou un smartphone était regarder autre chose que la même émission vue sur un poste de télévision ou entendue sur un poste de radio), l'initiative a raté sa cible, et ses partisans l'ont décrédibilisée.


Garder le medium, c'est le message


Au-delà des effets matériels du refus de la table rase médiatique qu'aurait opéré "No Billag" , c'est bien l'attachement à des media de service public (et non à un medium d'Etat) qui a été affirmé. Ainsi, les chaînes publiques de radio et de télévision pourront continuer à diffuser leurs programmes, les chaînes privées financées par la redevance aussi, les auditeurs et téléspectateurs n'auront pas à payer plus cher des abonnements spécifiques pour remplacer le "bouquet" garanti par la redevance, la SSR pourra continuer à financer le cinéma suisse, des milliers d'emplois sont sauvegardés -même si le directeur général de la SSR n'en a pas moins, dans le paquet de réformes qu'il a annoncé, glissé qu'elles se paieraient de suppression de postes de travail. Bref, la SSR est sauve. Mais quelle SSR ?
Elle entend économiser 100 millions de francs pour compenser la baisse prévue de la redevance (qui passera à 365 francs par an) et de la part qui lui en revient (son budget sera limité à 1,2 milliard), elle prévoit (enfin...) de ne plus couper les films par de la publicité, de partager plus de contenus avec d'autres media. Mais qu'est-ce que ces projets, ou ces intentions, disent du rôle qu'elle entend jouer, face à la déferlante des "fake news" disffusées par les réseaux sociaux, et face à la crise générale des media ? Car un autre chantier, tout aussi urgent que celui de la SSR, mais bien plus périlleux, et bien plus large, s'est ouvert dans le temps même du débat sur "No Billag" : celui du soutien à la presse, et du statut de l'Agence Télégraphique Suisse. Et là aussi, le SSR a un rôle à jouer, et des ressources à partager : une part de la redevance pourrait financer la presse écrite, la SSR pourrait, comme le propose le PLR Fathi Derder, devenir un medium complet (un "multimedium") de service public dont le mandat serait élargi à l'écrit, la Confédération pourrait, comme le propose la socialiste Géraldine Savary, créer une agence d'information pour suppléer à la mercantilisation de l'ATS, et on en passe...

Selon les mesures « mediapulse » du premier semestre 2017, 94 % de la population romande de plus de 15 ans regarde ou écoute régulièrement la RTS, par la radio, la télévision ou internet. Les radios romandes  de la SSR ont 915'000 auditeurs chaque jour, les radios régionales 781'000, les télévisions de la SSR 892'0000 et les télés régionales 311'000. Tous groupes et régions linguistiques ensemble, 65% des Alémaniques et des Romands et 75 % des Tessinois regardent la télévision tous les jours. Et si 78 % de la population utilise tous les jours l'internet, c'est une proportion moindre (même si elle croît régulièrement depuis l'apparition de ce medium) que celle qui écoute quotidiennement la radio (84%) et qui lit les journaux (93%). Les media traditionnels (presse, radio, télévision) n'ont donc pas cédé la place à l'internet, comme les partisans de « No Billag » tentaient de le faire croire : les media ne s'annulent pas mais s'additionnent.

En attendant, le message délivré par les citoyennes et les citoyens a été assez clair pour qu'on puisse espérer que les partisans de la privatisation totale de l'espace médiatique suisse l'aient compris : pour paraphraser Marshall MacLuhan, "Garder le medium public, c'est le message"...

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