"Repenser le système d'aide sociale" : pour en faire quoi ?


Le droit, pas l'aumône

"Le système d'aide sociale doit être repensé", déclare le Conseiller d'Etat sortant, et candidat à sa réélection, Mauro Poggia. Et il a parfaitement raison Mauro Poggia. Du moins quand il affirme cette nécessité de "repenser" ce système. Et aussi quand il constate que "l'emploi n'est plus un rempart à la précarité" et que "les "working poors" sont de plus en plus nombreux". Il faut donc "repenser le système d'aide sociale". Mais pour en faire quoi ? Et d'abord, comment décrire ce système ? Comme un empilage de prestations toutes conditionnelles et jamais suffisantes, de procédures suspicieuses et incoordonnées entre elles, de bureaucraties et de réglementations tatillonnes... En attendant l'instauration d'un revenu garanti et inconditionnel, couvrant les besoins essentiels, et d'un salaire minimum permettant aux "working poors" d'être "working" sans être "poors", il ne suffira pas de "désenchevêtrer" pour "repenser", et il faudra commencer par le commencement : admettre que l'aide sociale est un droit, pas une aumône, sortir du mépris et du paternalisme, cesser de considérer les ayant-droit à une aide sociale comme des solliciteurs présumés coupables de mensonge à qui il convient d'exiger de prouver, à réitérées reprises par des dizaines de documents (et à qui, quand ils les ont tous fournis, on va en redemander encore d'autres) qu'ils ne sont pas des "abuseurs de l'aide sociale"...


Le déni de réalité comme « stratégie d'ensemble » ?

Une part croissante de la population est précarisée, une part croissante de la population active n'obtient de son travail qu'un revenu insuffisant à la faire vivre décemment, dans un pays comme le nôtre et des villes comme les nôtres. Les dépenses publique d'aide sociale (toutes prestations confondues) ont augmenté d'un tiers en Suisse entre 2005 et 2015, pour atteindre 7,8 milliards de francs. Et si le taux national d'aide sociale (le pourcentage de la population en bénéficiant) est resté stable, il a augmenté de 72 % à Genève, passant de 3,2 % à 5,5 %, soit 13'000 personnes de plus (seuls les cantons de Neuchâtel et de Bâle-Ville connaissent des taux plus élevés), et les dépenses sont passées de 110 à 270 millions pour l'aide sociale au sens strict, à quoi il faut ajouter 263 millions pour l'aide complémentaire à l'AVS AI et 24 millions pour la seule aide au logement, touchée par 5 % de la population genevoise. En cause, notamment, le prix du logement et la pénurie de l'offre, qui contraint des milliers de personnes à des locations trop onéreuses pour leurs moyens financiers, faute de pouvoir trouver des logements moins chers.  A Genève, le montant total des prestations complémentaires familiales a doublé depuis 2013, pour atteindre 20 millions de francs annuels en 2016.

En 2016, environ une personne en Suisse sur cinq n’avait pas les moyens de faire face à une dépense imprévue de 2500 francs dans un délai d'un mois. Une personne sur dix ne pouvait pas s’offrir une semaine de vacances par année en dehors de son domicile. 6,9% de la population était touchée par un risque de pauvreté persistant. Ces résultats sont tirés de l’enquête sur les revenus et les conditions de vie (SILC) de l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les ménages monoparentaux sont les plus touchés. Et pourtant, le revenu disponible median, après correction des différences de niveaux de prix entre les pays. est 1,8 fois supérieur en Suisse à celui de l’Espagne et 1,3 fois supérieur à celui de l’Allemagne ou de la France.

En 2013, le Conseil fédéral avait lancé un programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, très modestement financé à raison de neuf millions de francs. Les causes de la pauvreté d'une part importante de la population de l'un des pays les plus riches du monde sont connues : salaires insuffisants à couvrir les besoins de base, formation professionnelle insuffisante pour trouver un emploi correctement salarié, coût du logement, coût de l'assurance-maladie, insuffisance de la protection sociale contre les "accidents de la vie", fins de droits au chômage (le nombre de personnes se retrouvant dans cette situation a dépassé les 40'000 en 2017) : toutes ces causes correspondent à des domaines d'action et de compétence de la Confédération et des cantons, parfois des communes (en particulier des villes). Elles peuvent donc faire l'objet de politiques visant à y remédier (ambition basse) ou à les supprimer (ambition haute), et c'est bien l'absence, ou la faiblesse, de telles politiques qui doit être mise en question : comme le constate (dans "Le Courrier" du 19 décembre) le directeur de Caritas, Hugo Fasel, "aucun service (fédéral) (ne) traite globalement de la pauvreté" (Hugo Fasel propose la création d'une commission fédérale pour les questions relatives à la pauvreté), et "la politique de lutte contre la pauvreté reste une politique de rapiéçage. On n'agit que lorsqu'on ne peut plus faire autrement. Il n'y a pas de stratégie d'ensemble" de lutte contre la pauvreté dans l'un des pays les plus riches du monde. A moins bien entendu de considérer le déni de réalité comme une "stratégie d'ensemble"


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