Politique (sociale) du logement de la Ville de Genève : Qui loger d'abord ?


On a beaucoup entendu parler hier soir, sans beaucoup de pertinence, de la politique du logement telle que menée par la Ville de Genève, et par sa Gérance Immobilière (la GIM). A une droite qui refuse une politique sociale du logement priorisant la satisfaction des besoins les plus urgents et les droits des moins aisés, et une "gauche de la gauche" qui dénonce les modalités pratiques d'une telle politique, entre invocations rituelles à une "classe moyenne" à géométrie variable et règlements de compte personnels, la question à se poser est bien celle posée par la Conseillère administrative Sandrine Salerno : "Est-ce que le parc de la GIM doit servir à loger tout le monde ou, comme aujourd'hui, les populations les plus précaires de Genève". Il y a bien là un choix de priorité (voire un choix de société), pour une Municipalité : qui loger d'abord ? Celles et ceux qui ne peuvent pas l'être sans qu'une collectivité publique les y aide, ou "tout le monde", y compris celles et ceux qui n'ont pas besoin d'une telle aide ? Celles et ceux qui n'ont pas de logement, juste un hébergement, ou celles et ceux qui en un qui ne leur convient pas ?

Qui parle, de quoi, et à quel moment ?

Un débat au Conseil municipal sur la politique du logement de la Ville pose d'emblée trois questions d'ordre méthodologique : celle du sujet (qui parle ?), celle de l'objet (de quoi ça parle) et celle du contexte (quand est-ce que ça parle).
Le sujet, ce sont les membres du Conseil municipal et du Conseil administratifs, en tant qu'élus municipaux, de membres et de militants de partis, voire de candidats et de candidates au Grand Conseil ou au Conseil d'Etat.
L'objet, c'est la politique du logement, avec l'opposition d'une politique sociale, prônée par la gauche, et d'une politique libérale, défendue par la droite.
Le contexte, c'est ici et maintenant. Ici, à Genève. Avec sa crise du logement, et l'écart abyssal entre les besoins et les disponibilités, les logements demandés et les logements vacants, le montant des loyers et les revenus disponibles pour le couvrir. Mais le contexte, c'est aussi celui des derniers jours d'une campagne électorale. Sans doute le pire moment, dans une démocratie, pour un débat objectif. Nous disons bien "objectif", par "impartial" : les élus dans un parlement n'y siègent que parce qu'ils sont partiaux, partisans, membres d'un parti qui les fait élire. Mais partisans, ils ont tout de même, lorsqu'ils empoignent d'un enjeu et vocalisent sur lui, à ne pas le traiter en fonction de leurs situations personnelles ou politiques.

On peut dès lors poser le contexte en termes trivialement quantitatifs : la Ville de Genève met à disposition de ses locataires un parc d'un peu plus de 5300 logements, dont un peu moins de 5000 logements sociaux. Elle loge ainsi plus de 11'000 personnes. Près de 4000 personnes s'inscrivent chaque année sur les listes de la GIM. 3200 d'entre elles sont sur listes d'attente. C'est beaucoup, beaucoup plus que le nombre de logements qu'elle peut attribuer (300 par année). Et 75 % de ces demandes proviennent de personnes dont le revenu se situe en-dessous du revenu individuel moyen à Genève, la catégorie la plus représentée chez les demandeurs de logements auprès de la Ville étant celles de personnes dont les revenus sont inférieurs à 4000 francs par mois. Pas la "classe moyenne", mais des "gens de peu". Surtout de peu d'intérêt pour les régies privées, les golfeurs de Cologny, la Maire de Vandoeuvres et les zachariens d'Anières ou d'ailleurs.

C'est parce que le logement est une marchandise qu'il y a un "marché" du logement, c'est parce qu'il y a ce "marché" que la plupart des logements sont financièrement inaccessibles à la plupart des gens, et que seuls sont accessibles ceux qui sont offerts par des collectivités publiques à des loyers déterminés en fonction du revenu des locataires, ou ceux dont le loyer est plafonné par la loi, ou ceux qui sont offerts par des coopératives (du moins celles dont les parts sociales ne sont pas elles-mêmes hors de prix).
Combien de demandeurs de logements sociaux vont devoir en chercher hors de la Ville, ou chercher un logement sur le "marché libre" hors du canton, voire en France, faute d'avoir pu en trouver un en Ville de Genève, par exemple auprès de la Gérance Immobilière Municipale ? Et, pour poser une question encore plus désagréable : combien de logements sociaux de la Ville sont occupés par des locataires qui auraient les moyens (le revenu, la fortune) de se loger en loyer libre, en propriété par étage ou en propriété individuelle, et qui donc privent "objectivement" des personnes en manque de logement d'en trouver un ?

Il ne s'agit pas d'opposer des droits, des besoins ou des populations. Le droit au logement est un droit fondamental, et donc universel, parce que le besoin de logement est universel. Mais l'accès à ce droit, la satisfaction de ce besoin, eux, ne sont pas égaux. Ce ne sont pas ceux qui, comme nous, privilégient la satisfaction du droit au logement des "gens de peu" plutôt que de la "classe moyenne", et plutôt que de tout le monde, qui opposent les populations, c'est l'inégalité des ressources des populations : il y a des gens qui ont les moyens de se payer un logement ou de le louer sur le marché libre, et ceux qui n'en ont pas les moyens -et la tâche d'une collectivité publique gouvernée par la gauche n'est pas de masquer cette inégalité sociale en logeant des gens qui n'ont pas besoin d'elle pour se loger, mais d'y remédier en logeant celles et ceux qui ne pourraient pas se loger sans elle.









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