Rêve Inuit en Catalogne


Le Groenland et les Feroe, cap vers l'indépendance :

Mardi, l'élection du parlement du Groenland a donné une majorité aux indépendantistes "modérés", avec 27,2 % des suffrages aux sociaux-démocrates du Siumut et 25,5 % à la gauche-verte de Inuit Ataqatigiit. Les autonomistes de Demokraatit, partisans du maintien dans le cadre danois, ont obtenu 19,5 % des suffrages. Le Groenland dispose d'un statut de large autonomie depuis 1979, et la constitution danoise lui reconnaît, ainsi qu'aux Iles Feroe, le droit à l'indépendance (aux Feroe, où les élections ont été reportées, les indépendantistes et les autonomistes sont de force égale), même si le Danemark n'y est pas favorable. C'est immense, le Groenland, bien plus vaste que la Catalogne. Mais sur cette île cinq fois plus vaste que la France ne vivent que 55'000 habitants. L'équivalent d'un quartier de Barcelone. Pourquoi ces 55'000 habitants se voient-ils reconnaître par leur Etat de tutelle, le Danemark, un droit, le droit à l'autodétermination,  nié aux millions de Catalans par l'Espagne ? Précisément parce que le Groenland est un territoire danois et que le Danemark est une démocratie. Et qu'il n'est donc pas surprenant qu'aujourd'hui des centaines de milliers de Catalanes et de Catalans se rêvent Inuits.

Une transition de quarante ans peut-elle encore être qualifiée de "transition" ?

"Il faut reconnaître l'autre comme un sujet politique avec qui il faut dialoguer, sans ligne rouge", plaidait le président déchu de Catalogne, Carles Puigdemont. Reconnaître "l'autre comme un sujet politique" et dialoguer avec lui, c'est ce que font les autorités danoises au Groenland et aux Feroe, ce que firent les autorités britanniques en Ecosse, et ce que les autorités espagnoles sont incapables de faire en Catalogne. Il est vrai que les indépendantistes groenlandais sont moins pressés que les indépendantistes catalans et qu'ils ne songent pas à une proclamation unilatérale d'indépendance, mais les différences de culture politique (et de cadre constitutionnel) entre l'Espagne et le Danemark (deux monarchies, soit dit en passant) sautent aux yeux : la constitution danoise est une constitution démocratique, celle de l'Espagne une constitution de "transition" vers la démocratie -et si les mots ont un sens, "transition vers la démocratie" signifie bien qu'on n'y est pas encore, en démocratie... mais une transition de quarante ans peut-elle encore être qualifiée de "transition" ou n'est-elle pas plutôt une stagnation dans l'héritage franquiste ?

Revenons donc à la Catalogne, et à l'impasse dans laquelle pourrit la crise politique provoquée par le refus obstiné du gouvernement central espagnol de reconnaître la légitimité d'une aspiration à l'indépendance, fondée précisément sur le droit à l'autodétermination -on parle bien d'une aspiration, pas d'une fatalité, et d'un droit, pas d'une obligation. Après la dissolution autoritaire du parlement catalan par Madrid, l'organisation d'une rééelection de ce parlement, la victoire -courte, mais incontestable- des indépendantistes à ces élections, le gouvernement espagnol s'est planqué derrière les juges pour entraver toute possibilité de retour à une situation "normale", avec un exécutif catalan représentatif de la majorité parlementaire catalane, et légitimé à dialoguer avec Madrid. Les juges de l'Etat central ont été instrumentalisés pour assumer les basses besognes du gouvernement central. Et l'Allemagne pour faire le boulot policier de ces juges en arrêtant Carles Puigedmont à la demande de l'Espagne, ce que la Belgique avait refusé de faire -et que la Suisse avait annoncé qu'elle ne ferait pas, et l'a confirmé s'agissant d'Ana Gabriel, ancienne députée de la CUP (gauche radicale) et de Marta Rovira, secrétaire générale de la Gauche Républicaine, réfugiées à Genève et poursuivies par l'Espagne pour avoir pris part à l'organisation du référendum d'autodétermination -autrement dit : poursuivi-e pour des motifs politiques, quelles que soient les arguties juridiques madrilènes -et la contradiction manifeste d'un gouvernement (celui de Rajoy) qui affirme d'une part que la "question catalane" n'est qu'une affaire intérieure espagnole, mais attend des Etats étrangers où se réfugient militants et élus catalans qu'ils rentrent dans son jeu en embastillant les indépendantistes qu'il n'a pas réussi à embastiller lui-même -ou qui, comme Clara Ponsati, ne se sont pas rendu-e-s aux autorités de leur pays d'accueil (l'Ecosse, en l'occurrence, qui l'a placée en liberté conditionnelle). Au moins six indépendantistes catalans sont visés par des mandats d'arrêt internationaux émis par un Etat qui refuse tout prolongement international à la crise catalane...

Il ne manquerait plus que Manuel Valls se présente à la Mairie de Barcelone, comme il en évoque lui-même la possibilité, pour que la farce soit complète.

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