Chute du gouvernement de droite espagnol : Segur que tomba, tomba, tomba...


La gauche italienne a de quoi être un peu envieuse de la gauche espagnole : à un jour près, l'extrême-droite italienne alliée aux populistes arrivait au pouvoir et son chef s'installait au ministère de l'Intérieur en promettant de faire la vie dure aux immigrants (réfugiés compris), et la gauche espagnole, alliée aux indépendantistes catalans et basques, renversait le gouvernement de droite. Les vents soufflent contraires, au sud de l'Europe. L'Espagne tourne une page lamentable, mais sans que la page suivante ait été écrite. C'est peut être une chance : rien n'étant donné, tout peut être inventé. A commencer par une nouvelle constitution, tirant un trait sur celle d'une "transition" qui n'a plus de raison d'être, plus de 40 ans après la mort de Franco... et sur une monarchie déconsidérée par les monarques eux-mêmes.

 ¡ Si se puede !


« Si nous tirons tous, il va tomber", chante Lluis Llach dans l'"Estaca". Ils ont tiré tous, et il est tombé : la coalition des gauches espagnoles et des indépendantismes catalan et basques a fait tomber le gouvernement Rajoy, celui du Parti "Populaire". Cette coalition est majoritaire, mais n'a été rassemblée que contre Rajoy, pas pour Sanchez : elle rassemble sans programme commun des partis de gauche (le PSOE, Podemos, la gauche républicaine catalane et la gauche indépendantiste basque) et de droite (le Parti nationaliste basque et le PDeCAT de Carles Puigdemont), et elle n'a pu être rassemblée que parce que le calendrier judiciaire, et la condamnation du Parti populaire pour corruption "institutionnelle", a rendu le gouvernement Rajoy insoutenable (sauf pour les "libéraux" de Ciudadanos qui auraient préféré des élections anticipées qu'ils espéraient gagner) et son parti, transformé en distributeur de cadeaux douteux, insupportable (sauf à sa base électorale). Le flair politique de Pedro Sanchez a fait le reste.

Le PSOE et son chef, reviennent de loin : aux législatives de décembre 2015, le parti faisait son pire résultat depuis la fin (au moins apparente) du franquisme, avec 90 députés. Six mois plus tard, aux législatives anticipées, il reculait encore, et n'obtenait plus que 88 sièges sur 350. Quant à Pedro Sanchez, il eut en octobre 2016 à faire face à un putsch de l'aile droite et des cadres du parti, que sa volonté proclamée de n'être "fidèle qu'aux militants" insupportait. Mais en mai 2017, lors de la désignation du chef du parti par la base, il bat la favorite, la présidente de la région d'Andalousie, et reprend la tête du parti. Et un an plus tard, en coalisant toutes les oppositions, nationales et régionales au Parti Populaire et à Mariano Rajoy (Ciudadanos mis à part, mais cette sorte de "En Marche" espagnole n'est pas vraiment une opposition au PP, juste une concurrence), il renverse le gouvernement alors que son parti n'a jamais été aussi faible au parlement, et que les forces politiques autres que le PSOE qui ont soutenu sa motion de censure l'ont fait précisément pour faire tomber Rajoy, non pour couronner Sanchez, les Catalans ne se privant pas de rappeler que les socialistes ont été "complices de la répression" du référendum d'autodétermination et de la mise sous tutelle espagnoliste de la Catalogne.

Dix jours avant les élections législatives anticipée de juin 2016, le leader de Podemos, Pablo Iglesias, assurait : "notre adversaire est le PP et notre allié le PSOE". Mais en même temps, l'objectif de Podemos restait de dépasser le PSOE, qualifié de "vieille social-démocratie"m et de devenir la première force de la gauche espagnole. Cet objectif n'a pas été atteint, et Iglesias, qui proclamait "Je veux gouverner l'Espagne, puis quitter la politique", n'a ni gouverné l'Espagne, ni quitté la politique : Podemos n'a pas dépassé le PSOE, et a perdu un million de voix par rapport au précédent scrutin, six mois avant, malgré son alliance avec Izquierda Unida et neuf autres partis de la gauche radicale. Et la droite est restée au pouvoir, grâce à l'abstention (coupable) des socialistes lors du vote de confiance au parlement.

Au sein de Podemos, deux lignes s'affrontaient, l'une portée par Pablo Iglesias, qui veut occuper le champ de la protestation et construire un "mouvement populaire" contre "la classe politique traditionnelle" l'autre par Iñigo Errejon, qui voulait "renforcer l'espace traditionnel de la gauche", et faire de Podemos un nouveau parti, mais pour l'essentiel sur le modèle organisationnel des partis politiques traditionnels, avec une direction attendant de la base qu'elle applique la ligne du parti, définie démocratiquement, certes, mais s'imposant à celles et ceux qui la contestent. Parallèlement, Podemos se "respectabilise", son discours politique se normalise et le mouvement devenu parti se tourne, comme presque tous les autres partis, vers la "classe moyenne". Pour finir, après la chute de Rajoy et l'avènement de Sanchez, par revendiquer d'entrer au gouvernement central, avec le PSOE. En somme, Podemos devient une aile gauche de la social-démocratie : "Il y a un nouvel espace politique pour une quatrième social-démocratie à construire à partir de l'échec de la troisième voie" (l'échec du PSOE, donc), assurait Iglesias lui-même. C'est donc bien un projet social-démocrate qu'il voulait voir adopter par Podemos, mais dans une alliance avec le PSOE (une alliance déjà effective dans plusieurs grandes villes, et que le soutien de Podemos à la motion de censure du PSOE manifeste également). "Notre programme est social-démocrate", insiste Iglesias, comme l'était devenu le programme de l'"eurocommunisme" des années septante. En Espagne comme ailleurs, c'est bien la social-démocratie qui, en s'abandonnant au social-libéralisme, s'est abandonnée elle-même. Et qu'est-ce que ce programme "social-démocrate" de la "gauche de la gauche" espagnole ? Un programme directement inspiré du "modèle scandinave" : une "fiscalité redistributive et expansive", la défense des droits sociaux, le renforcement de la consommation intérieure, et un "européanisme souverainiste" qui implique une démocratisation des institutions européennes. Or Pedro Sanchez, en prenant la chefferie du gouvernement, n'a pas exprimé un autre programme que celui qu'exprimait Pablo Iglesias : son gouvernement sera "socialiste, paritaire et européiste". Il promet de garantir l'îndépendance de la radiotélévision publique que le PP avait instrumentalisée, d'alléger la loi restreignant le droit de mnanifester, d'augmenter les prestations sociales, de renforcer la santé publique et d'avancer vers la transition énergétique. Il promet d'assurer la stabilité institutionnelle, macroéconomique et budgétaire, sociale, professionnelle, environnementale et territoriale" (ce qui ne présage pas d'un réformisme exacerbé") et de rouvrir le dialogue avec la Generalitat catalane, mais combien de temps tiendra-t-il ? jusqu'à des législatives anticipées ? Jusqu'aux législatives "normales" de 2020 ? La réussite de son coup, la visibilité que cela lui donne,  renforcera certainement le PSOE, mais si c'est au détriment de Podemos, le jeu sera à somme nulle pour la gauche -et deux droites sont en embuscade : celle de Ciudadanos, et celle du PSOE, qui en 2016 prônait une coalition "à l'allemande" avec le PP, pour une année plus tard prôner une coalition "à la française" avec Ciudadanos dans le rôle des macronistes d'"En Marche"...

A l'annonce de la chute du gouvernement Rajoy, les députés de Podemos ont entonné leur chant de ralliement : "Si se puede", qui fut aussi celui du mouvement des travailleurs agricoles de Cesar Chavez, dans les années septante, aux Etats-Unis. "Oui, c'est possible" de faire tomber le gouvernement de Rajoy et du PP. En conjuguant toutes les forces qui n'en voulent plus. Pour le reste, et pour la suite, c'est d'une coalition plus solide que cette addition dont Sanchez aura besoin. Et d'un parti plus décidé, plus cohérent... et plus socialiste que celui dont il a hérité.

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