Opération "Papyrus", bilan d'étape


Sorties de l'ombre

Entre octobre 2015 et décembre 2017, 1093 personnes, travailleurs et (surtout) travailleuses à Genève sans statut légal, mais aussi 412 de leurs enfants eux aussi sans statut légal, ont été régularisées dans le cadre de l'opération "Papyrus", lancée par les syndicats (principalement le SIT), le Centre social protestant, le centre de contact Suisses-immigrés et le Conseil d'Etat -à la sourde colère de l'extrême-droite locale. 42 % des personnes régularisées à fin décembre dernier sont sud-américaines (surtout boliviennes et colombiennes). Pour pouvoir obtenir un permis B (renouvelable), les candidates et candidats à la régularisation doivent avoir séjourné sans interruption à Genève pendant au moins cinq ans s'ils ont des enfants scolarisés ou dix ans s'ils n'en ont pas, être financièrement indépendants, maîtriser le français oral (sur 790 tests passés, 88 % ont été réussis) et n'avoir jamais été condamnés. Les associations et les syndicats ayant pris garde de ne pas déposer de dossiers fragiles, seuls quatre dossiers ont été refusés par les autorités cantonales ou fédérales ("cela veut dire l'expulsion", a déclaré le Conseiller d'Etat Pierre Maudet).


"Maintenant, j'ai des droits"

28 février 2017, à Genève : le Palladium est noir de monde, jusque sur trottoir. D'un monde qu'on n'a pas l'habitude de voir, et qui n'a lui-même pas l'habitude de se faire voir : 2000 personnes sans statut légal sont venues pour qu'on leur présente l'opération "Papyrus", et les conditions qu'elles doivent remplir pour pouvoir être régularisées, et recevoir un permis B. Dehors, sous la pluie, les syndicats transmettent les informations au mégaphone aux centaines de personnes qui n'ont pu entrer dans la salle bondée. Le début d'une opération, le succès d'une lutte menée pendant des années par les syndicats et le Centre de contact Suisse-immigrés, contre l'aveuglement volontaire sur la situation, fort utile à ceux qui les exploitaient, des "sans-papiers". Plus de 4500 dossiers seront traités de février à décembre 2017, près des trois quarts concernant des travailleuses (surtout) ou des travailleurs dans l'économie domestique.

"Papyrus" a été agitée comme un outrage par l'UDC au parlement fédéral -sans succès : le Conseil fédéral a validé l'opération et en a confirmé la légalité. Formellement, Papyrus est seulement l'utilisation par un canton -mais un seul- de toute la marge de manoeuvre donnée par la loi. Une marge de manoeuvre encore insuffisante, mais que Genève est le seul canton a utiliser. Tous les "sans-papiers" genevois ne seront pas régularisés (des milliers d'entre eux demeurent dans la précarité et sous l'exploitation), l'opération "Papyrus" (qui n'a créé aucun "appel d'air" à l'immigration illégale) est limitée dans le temps, sur le métier il faudra remettre l'ouvrage,  mais une démonstration a été faite : on savait une régularisation collective nécessaire, on la sait désormais possible, certes à des conditions qui supposent un examen individuel des dossiers, aboutissant à des décisions individuelles, mais dans le cadre d'une seule et même opération ("Papyrus"). Ainsi sort-on du "cas par cas", et consent-on à regarder la réalité en face.

Le Secrétariat d'Etat aux Migrations estimait en 2015 le nombre des "sans-papiers" à 28'000 dans le canton de Zurich, 13'000 dans celui de Genève, 70'000 dans l'ensemble de la Suisse. A Zurich, 4700 personnes ont signé une pétition demandant que soit engagée une opération de régularisation des sans-papiers, sur le modèle genevois de l'opération "Papyrus", que les pétitionnaires louent comme "typiquement suisse" : "essayer ensemble, de trouver une solution en tentant quelque chose, avec de bonnes conditions-cadres". En mai, le Conseil d'Etat zurichois avait refusé de lancer une opération du genre "Papyrus" en expliquant que les situations zurichoise et genevoise étaient complètement différentes, du fait de la forte présence à Genève de diplomates et de fonctionnaires internationaux employant des sans-papiers, à quoi les pétitionnaires répondent que si le cas genevois était si particulier, on ne comprendrait pas pourquoi Bâle envisageait (avant que d'y renoncer) de s'en inspirer, et pourquoi le Secrétariat d'Etat aux migrations (SEM) saluait "le fait qu'un canton empoigne" le problème des "sans-papiers". C'est tombé dans bien des oreilles de bien des sourds : Fin janvier, la commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats commettait quelque chose comme une saloperie : elle adoptait (droite contre gauche) une motion invitant le Conseil fédéral à exclure les personnes sans statut légal de toute prestation des assurances sociales, y compris de l'AVS, et à inciter les écoles à dénoncer les enfants sans statut légal aux autorités. Il y a des réflexes tribaux et des calculs politiques qui puent. Et donc, a contrario, des réflexes solidaires et des choix politiques honorables : ceux dont "Papyrus" est la manifestation.

"Maintenant, j'ai des droits", témoigne une ancienne "clandestine" dans "Le Courrier" : Des femmes et des hommes qui travaillent depuis des années à Genève peuvent enfin "sortir au grand jour" sans crainte d'un contrôle de police ou d'une convocation à l'Office de la Population. Elles et ils ont désormais droit à un salaire décent, à des conditions de travail contrôlées, à une formation, à des prestations d'assurance. Et à payer des impôts et des cotisations sociales (les assurances sociales récupèrent deux millions de cotisations avec le gros millier de régularisations de 2017). Les ex-clandestines et clandestins sont désormais reconnu comme, sinon une citoyenne et un citoyen au sens des droits politiques, du moins à une citoyenne et un citoyen au sens étymologique : qui forme avec ses semblables la Cité. Pas des ilotes : des sociétaires.

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