Comment dire qu'on n'en a rien à foutre de l'"Affaire Maudet" ?

Comment dire qu'on n'en a rien à foutre de l'"Affaire Maudet" sans passer pour un traître à la cause ?

Donc, selon le Ministère public genevois, le président du gouvernement genevois, Pierre Maudet, a menti (et Maudet lui-même l'a admis hier: son voyage à Abu Dhabi n'était pas un voyage privé, cadeau d'un ami, mais un voyage officiel, à l'invitation du prince héritier, qui a pris à sa charge le vol en classe affaire et l'hébergement du Conseiller d'Etat, de sa petite famille et de son chef de cabinet ("des sociétés actives à Genève dans l'immobilier, en contact régulier avec Pierre Maudet (...) ont activement pris part à la mise sur pied de ce voyage", ajoute le Ministère public). Soit "un montant de plusieurs milliers de francs" selon le Ministère public, qui demande au Grand Conseil la levée de l'immunité du président du Conseil d'Etat, pour pouvoir le mettre en prévention d'"acceptation d'un avantage". Pas encore l'en inculper (comme il a été fait de son ancien chef de cabinet), mais presque. "La faute", titre la "Tribune de Genève", dont le nouveau rédacteur en chef (Pierre Ruestchi ayant été dégommé par les tamédiacrates), Frédéric Julliard, est "abasourdi" par la maladresse du premier de classe. Parce qu'à force d'être sacré "surdoué de la politique", Maudet a énervé tout ceux qui se fatiguent à ramer pour qu'enfin les media parlent d'eux. C'est cela, la malédiction du premier de classe : tant qu'il ne commet aucune "faute" (ou qu'il arrive à les celer), on en chante les louange. Mais au premier faux pas (par exemple avoir tenté de dissimuler la véritable source de financement de son équipée) gare à lui. Nous, au fond de la classe, près du radiateur, on est peinards. Mais on attend quand même qu'on nous parle politique.


"Comme citoyen, je veux qu'on me parle politique", exigeait Roger Vailland


Le Temps" s'interroge : "Pierre Maudet peut-il survivre politiquement" aux conséquences de ses conneries (désignons-les pour ce qu'elles sont, qui ne sont pas des crimes) ? Formellement, la réponse est "oui". Mais survivre dans quel état ? avec quelles responsabilités ? quels départements ? Pour faire quoi ? "inaugurer les chrysanthèmes", comme ironisait De Gaulle ? Même pas : ses collègues ont décidé que ce n'est plus lui qui représenterait le gouvernement à l'extérieur.

Nul, sinon le Conseil fédéral, ne peut révoquer un Conseiller d'Etat. Le Conseil d'Etat ne peut pas non plus changer de président : Maudet a été désigné comme tel pour toute la durée de la législature, soit cinq ans. En revanche, ses collègues peuvent retirer à sa tutelle des dossiers et des services (la police, l'aéroport, comme le demandait la gauche) , voire réattribuer à un-e autre membre du gouvernement l'un ou l'autre des départements qu'il préside en plus de présider le Conseil d'Etat. Mais il ne peut rien de plus. Et le Grand Conseil non plus. Ni même le peuple (il n'y a plus de droit de révocation populaire d'un élu, que la première constitution genevoise accordait, mais que les suivantes n'accordent plus). Seul Pierre Maudet peut se révoquer lui-même, en démissionnant. Moult députés le lui demandent (une démission qui ne peut être que celle du Conseil d'Etat, avec à la clef une élection partielle) -mais l'historien Bernard Lescaze, ancien élu radical et l'ancien Conseiller d'Etat Guy-Olivier Segond se disent convaincus que si Pierre Maudet démissionnait pour pouvoir se représenter, retrouver l'onction du sacre électoral (il avait été élu triomphalement, au premier tour, seul en ce cas), il serait réélu. Nous en prendrions en effet le pari.


Maudet sera sans doute prévenu d'"acceptation d'un avantage" : une majorité, voire l'unanimité, Grand Conseil lèvera son immunité. Quant à transformer un parlement en tribunal, il conviendrait de se souvenir que cela n'a jamais abouti qu'au pire, pour la démocratie comme pour la justice : le parlement y perd sa légitimité de parlement sans gagner celle d'un tribunal. N'étant plus l'un sans arriver à être l'autre, il ne vaut plus que ce que vaut le lieu d'un règlement de comptes. En démocratie, il n'y a qu'un juge politique : le peuple. Pas les représentants du peuple, le peuple lui-même, en tant que "corps électoral". Et le seul tribunal politique acceptable est celui qui donne verdict dans les votes populaires. Les députés ne sont pas des juges, les juges ne sont pas des mandataires politiques -mais chaque citoyen, chaque citoyenne, est jurée et juré. Mais pour juger de quoi ? C'est amusant la chasse au Maudet, mais est-ce qu'on finira quand même par débattre de sa politique plutôt que de son comportement ? Le syndicat de la police judiciaire se déclare "affligé de devoir assister à un spectacle aussi pathétique" que celui de l'"affaire Maudet".


Maudet a d'abord reconnu avoir été "imprudent", puis avoir menti. C'est le moins qu'il pouvait faire et dire. Mais si plutôt que le comportement de Pierre Maudet, on mettait en débat sa politique -et celle du Conseil d'Etat qu'il préside encore ? Parce que cette politique là, comme d'ailleurs toute politique, mérite débat et impose, en démocratie, évaluation : ainsi, pouvons-nous savoir gré à Maudet de l'"opération Papyrus" -tout en condamnant le renvoi, qu'il couvre de son autorité, de requérants d'asile déboutés et malades dans un pays où ils ne recevront pas de soins : nous en voulons moins à Maudet de ses petits arrangements avec la vérité que d'avoir accepté de remettre des requérants d'asile à Salvini.


"Comme citoyen, je veux qu'on me parle politique", exigeait Roger Vailland. Nous avons la même exigence.

Commentaires

Articles les plus consultés