Percées vertes et déroutes socialistes dans trois élections en Europe


Une gauche socialiste à reconstruire

Dimanche, en Bavière, en Flandre belge et au Luxemburg, des élections régionales, municipales et législative (selon les cas) ont vu la montée en puissance des Verts au détriment, surtout, des sociaux-démocrates. Ce "dimanche vert" et ce quasi "désastre rose" ne peuvent s'expliquer par la seule actualité climatique : ils s'expliquent aussi par la perte par les socialistes de leur boussole politique, entre ralliement plus ou moins honteux au libéralisme (disons : le "social-libéralisme" survivant à ses inventeurs, Blair et Schroeder) et volonté de retrouver les racines idéologiques et programmatiques du socialisme. En Bavière, le SPD tombe au-dessous de 10 % des suffrages, est même dépassé par l'extrême-droite de l'AFD alors que les Verts, avec près de 18 % des suffrages, deviennent la deuxième force politique du Land, derrière la CSU catho-conservatrice (qui elle aussi a subi une lourde défaite électorale à force de courir après l'extrême-droite en reprenant quasiment son programme xénophobe). En Belgique, les socialistes ne résistent qu'en Wallonie et à Bruxelles (où les Verts deviennent aussi, derrière le PS, la deuxième force politique), mais s'effondrent en Flandre. Qu'est-ce que cette déroute socialiste et cette percée verte disent de l'état de la gauche (et particulièrement de la social-démocratie) en Europe ? Pour le moins, qu'elle est en reconstruction...


"Etre social-démocrate conserve-t-il un sens si on ne s'oppose pas au capitalisme ?"


Certes, les succès verts et les défaites roses dans les trois élections bavaroise, belge et luxembourgeoise de ce dimanche se sont produits dans des pays où les Verts ont un ancrage électoral depuis les années '80 du siècle dernier, et dans des pays qui ne sont pas ceux qui ont été le plus profondément ravagés par la crise économique et les politiques d'austérité dont les pays du sud ont été le théâtre, mais ils disent tous (comme d'ailleurs, à sa manière, les succès électoraux de Macron et de ses "marcheurs" en France) que le mouvement socialiste est sommé par sa propre base électorale de retrouver une identité politique, une distinction d'avec ses adversaires, qu'il a perdues au fil de ses compromis et de ses compromissions : les derniers sondages en Allemagne prédisent au SPD la même déculottée au plan national qu'en Bavière, et le donnent dépassé à la fois par les Verts et par l'extrême-droite de l'AFD). Et cette promesse de déculottée (et de fessée) n'est pas le prix de maladresses, d'erreurs de communication et de pédagogie politique, mais celui d'un abandon des valeurs fondatrices du socialisme -les même, après tout, que celles que proclama la révolution "bourgeoise" et que la bourgeoisie elle-même s'empressa de statufier pour mieux les contourner : la liberté, l'égalité, la fraternité...

Et en Suisse, alors, où en est le PS ? même s'il se porte bien mieux que ceux des pays voisins, il n'échappe pas au dilemme qu'ils affrontent. En novembre 2016, le PS suisse adoptait un texte programmatique sur le "démocratie économique" : il proposait un pouvoir de codécision (de cogestion) des salariés dans les entreprises et réitérait l'objectif socialiste de "dépassement du capitalisme". La droite du parti (essentiellement alémanique, autour de Pascale Bruderer, Chantal Galladé, Daniel Jositsch, Claude Janiak...) refusa d'accepter cette orientation et développera ses propres thèses (ses antithèses) "social-libérales". Thèse de gauche, antithèse de droite ? Le parti tente une synthèse et créée des groupes de travail pour accoucher d'un programme économique. A la fin de l'hiver 2018, ce programme est présenté : "Economie 4.0" s'articule autour de 18 thèses elles-même structurées autour de trois critères : les investissements publics, l'équité des règles, la cogestion. Tout (ou presque) y est : la formation, la répartition du travail, le développement durable, l'imposition du capital et des opérations financières, les énergies renouvelables, le partenariat social, l'égalité entre femmes et hommes, le service public, l'économie sociale et solidaires, la démocratisation des institutions internationales... La synthèse n'est pas le consensus : la Jeunesse socialiste dénonce l'abandon, ou l'oubli, du "dépassement du capitalisme", la droite du parti dénonce une vision négative de la globalisation. Du moins y a-t-il là un programme qui aille au-delà de la défense du statu quo. Un programme réformiste au vrai sens du terme : qui veut des réformes. Des vraies. Des profondes. Des qui changent quelque chose, radicalement (à la racine).

Dans le "Monde Diplomatique" de juin dernier, Serge Halimi s'interrogeait : "s'opposer au capitalisme conserve-t-il un sens quand on est social-démocrate ?"... Renversons la question pour la remettre sur sur pieds : "être social-démocrate conserve-t-il un sens si on ne s'oppose pas au capitalisme ?"... Nous l'écrivions dans un petit opusculedont nous nous rendîmes récemment coupable : "Promettant plus et mieux, puisque promettant autre chose, les socialistes doivent faire plus, mieux, autre chose et le faire autrement; on leur pardonnera moins de ne pas faire ce qu'ils promettent qu'à ceux qui n'ont rien promis, et dont on n'attend rien". Et, pour enfoncer le clou (car il faut parfois l'enfoncer ) :  "Les partis socialistes ont ce choix : se rendre coupables soit d'irrespect des règles du jeu social et politique, soit de manquement au contrat qu'ils ont passé avec ceux qui les ont élus pour changer ces règles -ceux en sommes qui les ont pris pour des socialistes. Les socialistes seront jugés soit par les maîtres du jeu, leurs adversaires, soit par les perdants du jeu, ceux au nom de qui ils affirment se battre, soit par les dupes du jeu, leurs propres militants".
On ne renie ni ne retire rien de cette prédication.

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