Qu'est ce qui est "trop coûteux" dans le système de santé ?


Le malade, c'est le système...

A Genève, le Conseil d'Etat s'oppose à l'initiative de la gauche pour un plafonnement des primes d'assurance maladie à 10 % du revenu du ménage : la proposition est jugée trop coûteuse par le gouvernement cantonal, qui rappelle qu'il verse, pour 323 millions de francs par an, des subsides à 110'000 personnes pour les aider à payer leurs primes -ou les payer presque totalement à leur place. Mais qu'est ce qui est "trop coûteux", dans le système suisse de santé ? L'aide apportée à celles et ceux qui ne peuvent assumer le coût exorbitant des primes (obligatoires) d'assurance par tête (et non par ménage), ou ce système lui-même, ce qu'il condense d'absurdité dans la conception même d'une politique de la santé, voire la définition même de la santé, et l'impossibilité d'une part croissante de la population à en assumer le coût sur elle reporté ?


DIS TONTON, POURQUOI TU TOUSSES ? PARCE QUE JE SUIS VIVANT !

Selon l'Office fédéral de la statistique (OFS), les dépenses de santé en Suisse se sont montées à 80,7 milliards de francs au total en 2016 selon les normes de l’OCDE, ce qui représente une hausse de 3,8% en un an. Leur part au produit intérieur brut est passée de 11,9% à 12,2%. Dans ce pays (comme dans les pays voisins), l'offre de prestations médicales (et de produits) est considérable. Or plus grande et plus large est cette offre de « santé », plus elle force la demande : les besoins, les problèmes, les risques sont produits par cela même qui s’affirme capable de répondre aux uns, de résoudre les autres, de garantir contre les derniers. Et plus intensément est ressentie l’incapacité du système de santé à soigner tout le monde contre tout, à garantir à chacun qu’il ne risquera jamais rien. Incapacité à mesurer à son inverse : la capacité du système à marchandiser la santé, à tirer profit de cette mercantilisation, à soumettre la politique publique de santé à l'impératif du profit (privé).

L’obsession du bien-être est une maladie sociale. La peur du risque (et donc la peur de l’autre dès lors que toute altérité est porteuse de risque), la négation de la mort, le refus de la vieillesse, la mobilisation de toutes nos ressources intimes pour la conservation de nous-mêmes, le fantasme de l'immortalité, sont autant de symptômes de cette maladie sociale –qui, en devenant maladie individuelle, devient aussi maladie mortelle. Que la pensée médicale et sanitaire se soit réduite à une pensée de la conservation n’est pas sans répondre à la réduction de la pensée politique à une pensée elle-même conservatrice. Il nous faudrait donc protéger notre corps (et notre âme, pour autant que nous nous en accordions une) des accidents, des maladies, de l’usure du temps.

On aurait grand tort de s'en étonner : Il eût été assez surprenant, et pour tout dire absurde, que le corps des humains ne devienne pas marchandise pour un système qui fait de l’humain une marchandise et qui soigne la peur de la mort, et sa propre peur de la vie, par l’injonction à la consommation compulsive. Il eût été tout aussi surprenant que l’obsession de la productivité ne se traduise pas en obsession de la « santé », au point que la recherche de la « santé » devienne elle-même une maladie, et en tous cas un facteur pathogène : réduit à ses fonctionnalités utiles, le corps doit être performant, et on se rend malade à force de se vouloir en « pleine forme ».

La définition  de la santé que donnait l’Organisation mondiale de la Santé est exemplaire de cet enfermement défensif de la pensée médicale et sanitaire : la santé serait « un état complet de bien-être physique, mental et social ». De toute évidence, un tel objectif est hors de portée, et, parce qu’il est hors de portée, est lui-même fauteur de ce « mal-être physique, mental et social » qu’il s’agirait d’éradiquer. A moins de  considérer qu'il n'y a que les morts qui soient en bonne santé.

Cet « état complet de bien-être physique, mental et social » est un programme impliquant l’usage de méthodes totalitaires : rien ne doit échapper à l’autosurveillance médicale et sanitaire : l’individu doit se surveiller, surveiller son corps, surveiller son alimentation, surveiller son mode de vie, préserver son énergie, rester fonctionnel et efficace, se soumettre aux impératifs de la santé collective, gérer son « capital santé » comme un rentier sa rente, se plier aux régimes qu’il s’impose. A l’autosurveillance s’ajoute, ou supplée lorsqu’elle fait défaut, l'exosurveillance. Il convient non seulement de s’abstenir de tout comportement déviant pour soi-même, mais également de surveiller le comportement des autres, et le cas échéant de le dénoncer. La maladie devient une délinquance, jouer avec sa santé un délit. Le système de santé devient un système de contrôle social, la solidarité se réduit en discipline, l’intégration de l’individu au système de santé est indissociable de son intégration au système social, et de son adhésion à l’ensemble des normes sociales.

Cette servitude volontaire vaut toutes les autres, et son terme est celui de toutes les autres : la mort –mais en bonne santé. Et peu importe que la prolongation de la vie à tout prix soit la négation du prix de la vie, et de la vie elle-même, puisque ce que l’on nie est l’évidence que la vie est elle-même un processus de destruction.

- Dis Tonton, pourquoi tu tousses ?
- Parce que je suis vivant...

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