Bilan de santé du socialisme européen -et suisse


Les naufragés et le rescapé

La semaine dernière,  l'Assemblée Générale du PS genevois a désigné ses six candidates et candidats (trois et trois) à l'élection l'année prochaine de la députation genevoise au Conseil national, et son candidat (Carlo Sommaruga) à celle au Conseil des Etats. Dix candidates et candidats se présentaient au suffrage des militants, et ont, en trois minutes, ditm pourquoi, pour faire quoi et au nom de quoi ils se présentaient. On retiendra ici les interventions de deux d'entre eux (pour lesquels on a voté mais qui n'ont pas été désignés). Pour Thomas Bruchez, porte-parole de la JS genevoise, "la politique ne s'arrête pas aux portes du parlement et aux rapports de force qui y règnent", il y a le mouvement social, il y a la rue. Il a raison, et nous ne disons jamais dans cette feuille autre chose. Ni, comme Thomas Bruchez l'a dit aussi, autre chose que les socialistes ne sont pas seulement là pour résister, mais aussi pour changer la société. Et que cela suppose autre chose que des compromis dictés précisément par les rapports de force parlementaires. Et comme Michel Zimmermann, nous sommes convaincus que "le PS a tout à perdre lorsqu'emporté dans la spirale d'un équivoque pragmatisme parlementaire (...) il tourne le dos aux principes qui constituent sa singularité et font sa force". Ni Thomas, ni Michel ne seront candidats du PS genevois au Conseil national. C'est dommage. Mais ce que nous partageons de leurs positions reste : il faut bien que les misères du socialisme européen nous soient de quelque enseignement, même si le PS suisse y échappe, précisément parce qu'il n'a pas sombré dans le conformisme "social-libéral" qui a naufragé les PS voisins, et dont nous nous sommes, et nous voulons encore, garder.

Par qui les socialistes seront-ils jugés ? les maîtres, les perdants ou les dupes du jeu?

La culture de gauche est "imprégnée de mélancolie comme un buvard est imbibé d'encre", nous dit l'historien italien Enzo Traverso, qui rappelle la scansion de grands "moments jubilatoires d'émancipation, d'action collective" et de "défaites, parfois de défaites tragiques". Mais la mélancolie dont la culture de gauche est "imprégnée" est aussi une mélancolie "refoulée" dès lors qu'un modèle de révolution s'est imposé avec la révolution russe de 1917, "modèle de révolution militaire", de conquête militaire du pouvoir. Les défaites historiques de la gauche (1848, la Commune de Paris, l'Espagne et l'Ukraine révolutionnaires libertaires, la guérilla du Che) avaient de la grandeur. Elles inspiraient le courage et suscitaient l'admiration.  La défaite historique du "communisme", elle, est piteuse, lamentable. Et empoisonnée : la montée des populismes réactionnaires et nationalistes en est une conséquence à retardement.

Au moment de la constitution du Parti socialiste française, la SFIO, le mouvement socialiste français était divisé en cinq familles : possibilistes, alémanistes, guesdistes, blanquistes et indépendants. Un siècle plus tard, cinq courants fragmentent la gauche française : le populisme de gauche de la France insoumise, la social-démocratie (ce qui reste du PS), l'écosocialisme de Benoît Hamon, les Verts et les communistes. A quoi on peut encore ajouter les différentes variantes du trotskysme. Mais il y a un siècle, il avait un Jaurès (et un Guesde) capables de réunifier les cinq familles du socialisme. Aujourd'hui, pas de Jaurès. Juste un Mélenchon. Et une "France insoumise" qui se revendique elle-même du populisme -d'un populisme de gauche, certes, mais au sein d'une gauche qui ne pèse qu'un tiers de l'électorat, parce qu'une bonne partie de son électorat a été macronisé. Et pas à l'insu de son plein gré.

Dans "Gauche Hebdo", avant les dernières élections cantonales genevoises, Salika Wenger observait qu'aujourd'hui, "le rôle de la gauche s'avère surtout défensif et consiste essentiellement à s'opposer à la logique du pire de la droite plutôt que de promouvoir de nouvelles propositions de progrès social". Doit vraiment s'en tenir à cette fonction défensive, "résistante" ? Promettant plus et mieux, puisque promettant autre chose, les socialistes doivent faire plus, mieux, autre chose et le faire autrement; on leur pardonnera moins de ne pas faire ce qu'ils promettent qu'à ceux qui n'ont rien promis, et dont on n'attend rien. Les partis socialistes ont ce choix : se rendre coupables soit d'irrespect des règles du jeu social et politique, soit de manquement au contrat qu'ils ont passé avec ceux qui les ont élus pour changer ces règles -ceux en sommes qui les ont pris pour des socialistes. Les socialistes seront jugés soit par les maîtres du jeu, leurs adversaires, soit par les perdants du jeu, ceux au nom de qui ils affirment se battre, soit par les dupes du jeu, leurs propres militants.

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