Brexcitations...


A cinq mois du divorce prévu entre le Royaume "Uni" et l'Union Européenne
A la mi-octobre, trois anciens Premier ministre et vice-premiers ministres britanniques (le néo-travailliste Tony Blair, le libéral-démocrate Nick Clegg et le conservateur Michael Heseltine) cosignaient un texte paru dans plusieurs journaux européens, reprochant vertement aux défenseurs du Brexit de "vivre dans un monde imaginaire et le déni", et au gouvernement conservateur de ne pas avoir réussi à évaluer les coûts économiques de la sortie, et de nourrir l'idée "fantasmée" que l'Union Européenne cédera "sur les principes du marché unique" en accordant au Royaume-Uni l'accès au marché unique sans exiger d'en respecter les règles. Quant au Maire de Londres (les Londoniens avaient rejeté le Brexit lors du référendum), Sadiq Khan, il a carrément appelé, avec des dizaines de milliers de manifestants le 21 octobre à un référendum sur l'accord final sur le Brexit, ouvrant la possibilité de rester finalement dans l'Union Européenne si aucun accord n'est conclu : "ceux qui ont voté en faveur d'une sortie de l'UE ne souhaitaient pas la baisse des investissements, les pertes d'emplois et la diminution du rôle de la Grande-Bretagne", par la faute d'un gouvernement "totalement dépassé et privé de direction". Enfin, devant le congrès de son parti, le leader travailliste Jeremy Corbin a appelé à des élections anticipées en cas de non-accord ou de rejet d'un accord par les Communes. S'adressant à Theresa May, qu'il accuse de vouloir "imposer au pays un choix unique entre un mauvais accord ou aucun accord" pour "mettre en oeuvre à la fois une politique des années 1950 et une pensée économique du XIXe siècle", Corbyn a lancé : "Si vous n'êtes pas capables de négocier un accord (...) qui protège l'emploi et les droits des salariés (...) et des consommateurs, alors laissez la place à un parti qui peut le faire". Ce parti,pour Corbyn, c'est évidemment le sien. Et son programme, s'il obtient une majorité lors d'élections anticipées, c'est de mettre fin au "capitalisme financier dérégulé avide" et de "reconstruire l'économie" grâce à un vaste programme d'investissements publics, de création d'emplois verts, de rééquilibrage des relations sociales en faveur des salariés, de restauration du service national de santé. Ainsi l'impasse du Brexit n'en serait-elle pas une : elle mènerait à l'arrivée d'un gouvernement de gauche en Grande-Bretagne... Amusant, non ?

La frontière entre l'Europe et le Royaume-Uni est en Irlande

Le Brexit devrait entrer en vigueur le 30 mars 2019 à 0 heures. En novembre, l'Union Européenne et le Royaume-Uni sont supposés s'entendre sur les modalités de leur séparation et se donner un délai d'un ou de deux ans (voire plus si mésentente) pour en gérer les conséquences, mais nul ne sait ni si cette entrée en vigueur se fera, ni elle se fera à cette date, ni sous quelle forme elle se fera si elle se fait. Sans accord (la Commission européenne se prépare à ce "no deal" tout en affirmant qu'elle veut l'éviter), ou en cas de refus par la Chambre des Communes d'un accord proposé par le gouvernement, il n'y aurait plus de cadre juridique pour les relations entre eux que ceux de l'OMC : les médicaments produits d'un côté du Channel ne serait plus reconnus de l'autre, les règles sanitaires réciproques n'existeraient plus, les avions britanniques ne pourraient plus se poser en Union Européenne (et réciproquement) tant que de nouvelles autorisations n'auront pas été demandées et obtenues, et des douanes (et donc des déclarations de douane et des contrôles des cargaisons des camions) ressurgiraient entre le continent et la Grande-Bretagne -et entre l'Irlande du nord et la République d'Irlande. La France est prête à recruter 700 douaniers supplémentaires pour garnir les points de passage de Calais, Dunkerque et du tunnel sous la Manche, la République d'Irlande à en recruter un millier pour des contrôles aux ports et aux frontières... On recule de près d'un demi-siècle ( c'est le 1er janvier 1973 que le Royaume-Uni est entré dans la Communauté Européenne, en même temps que l'Irlande et le Danemark).

La question de la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande, la seule frontière terrestre entre le Royaume-Uni et l'Union européenne après le Brexit, plombe avec particulière lourdeur les négociations de sortie de la Grande-Bretagne de l'UE. Cette frontière virtuelle de 500 kilomètres que 30'000 personnes franchissent tous les jours n'existait plus depuis les accords de paix du "Vendredi Saint" passés en 1998 entre les catholiques républicains et les protestants unionistes d'Irlande du nord, et les Irlandais (du nord et du sud), après des décennies d'affrontements armés, craignent de la voir renaître de ses cendres. Le gouvernement britannique se contente de promettre qu'elle n'aura pas de réalité physique (comme des postes de douane), mais elle n'en sera pas moins là, et risque fort de réveiller le conflit nord-irlandais entre républicains et unionistes. Le gouvernement britannique propose de nouveaux accords douaniers avec  l'Union européenne, capables de réduire les contrôle à l'invisibilité en exemptant de vérifications douanières les petites entreprises, mais le Brexit implique la sortie du Royaume-Uni de l'union douanière européenne et donc, d'une manière ou d'une autre, le retour d'une frontière, comme c'est le cas pour la Norvège ou la Suisse, non membres de l'UE. Or la frontière est un casus belli entre les partisans (républicains) de la réunification de l'Irlande et les partisans (unionistes) du maintien de l'Irlande du Nord dans le Royaume-Uni. Et la majorité parlementaire de Theresa May à la Chambres de Communes ne tient qu'au soutien que lui apportent les unionistes nord-irlandais (et au bon vouloir de plusieurs dizaines de députés conservateurs partisans d'un "Brexit dur"), qui semblent parier sur une sortie sans accord.  Et le ministre belge de soupirer : "on a parfois l'impression que les Britanniques négocient avant tout avec les Britanniques" : conservateurs entre eux, et conservateurs avec les unionistes nord-irlandais.
L'Union Européenne fait du règlement de la solution de la frontière une condition d'un accord sur le Brexit, ce règlement comme cet accord supposent leur acceptation par la République d'Irlande, et la Commission européenne refuse d'engager des négociations commerciales avec le Royaume-Uni avant que le problème ait été réglé (ainsi que ceux du sort des citoyens européens résidant en Grande-Bretagne et celui de la "facture de sortie" à payer par les Britanniques), par exemple en établissant des contrôles sur les échanges entre l'Irlande du Nord et la Grande-Bretagne,  qui refuse cette éventualité au nom de l'"intégrité" du Royaume-Uni. Et pour clarifier encore les choses, Bruxelles a clairement prévenu que la Grande-Bretagne ne pouvait pas s'attendre à obtenir le beurre et l'argent du beurre, c'est-à-dire bénéficier sans être membre de l'Union des avantages d'un membre de l'Union...

Etrangement, l'"exemple" de la Suisse (ou de la Norvège, ou de l'Islande) ne semble guère inspirer les partisans du "Brexit", alors que ceux du maintien de la Grande-Bretagne dans l'UE l'évoquent précisément comme exemple à ne pas suivre : l'exemple d'un pays contraint de respecter des normes, des règles, des décisions européennes auxquelles il n'a pris aucune part. L'exemple aussi d'un pays qui, étant hors de l'UE est dans l'"Espace Schengen", et qui, n'étant pas dans la zone Euro, doit constamment surveiller la parité de sa trop forte monnaie avec le trop faible euro pour ne pas plomber ses exportations. L'exemple, en somme, d'un pays qui paie cher une illusion de souveraineté. Alors comme ça, y'en a point qui veulent être comme nous...

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