La Cour des Comptes et les frais professionnels des magistrats municipaux de Genève


Frais privés et vertus publiques

S'autosaisissant (comme elle en a le droit) de la "problématique de la prise en charge des frais professionnels des conseillers administratifs et des membres de la direction de la Ville de Genève" (directeur général, directeur général adjoint, directeurs et codirecteurs des départements, directeur du contrôle financier), la Cour des Comptes a produit et rendu public la semaine dernière un  rapport dévastateur qui relève "d'importantes lacunes du cadre réglementaire ainsi qu'un manque d'exemplarité et de jugement (des magistrats et des plus hauts fonctionnaires municipaux) en matière de frais professionnels". Elle estime "impératif que le Conseil administratif prenne conscience du caractère inapproprié de ses pratiques en matière de frais professionnels". Elle met notamment en cause l'absence de contrôle du bien-fondé des demandes de remboursement des dépenses des Conseillers administratifs, l'absence de plafond pour le remboursement de certaines d'entre elles,  les activités militantes (au sein de leurs partis) et les activités professionnelles des magistrats. la confusion, pour certains d'entre eux, entre leurs dépenses personnelles et celles liées à leur mandat... Et elle émet onze recommandations, dont huit ont été acceptées par le Conseil administratif. En reste donc trois -il refuse notamment d'être le seul exécutif genevois à devoir rendre public chaque année le montant (et le détail) des frais forfaitaires et effectifs des élus à l'exécutif municipal de la seule Ville de Genève.


Quand "une démocratie de rejet tend à se substituer à une démocratie de projet"

Un petit déjeuner au champagne à 364 balles la bouteille, du ratafia en boîte de karakoe, le taxi pour rentrer chez soi à l'aube, sont-ce des frais liés à l'exercice d'un mandat de Conseiller administratif de Genève (largement rémunéré, même si une partie du salaire des magistrats communaux de la Ville est ponctionnée par leur parti) ? On s'accordera à répondre "non", comme répond un audit de la Cour des Comptes qui vient de faire grand bruit. La Cour évoque une "organisation opaque couplée à une exemplarité défaillante et à une réglementation obsolète. "Je n'ai pas fait tout juste", admet le plus durement épinglé par la Cour, Guillaume Barazzone (ce qui, ne manque pas de rappeler la "Tribune de Genève", rappelle furieusement le piteux "j'ai caché une partie de la vérité" de Pierre Maudet)... Les frais effectifs remboursés aux membres de l'Exécutif de la Ville vont des 11'000 francs de Sandrine Salerno aux 42'000 francs de Guillaume Barazzone. Pour les cinq, le total se monte à 120'000 francs, exemptés d'impôt (la Cour des Comptes a d'ailleurs informé le fisc).

Tout cela justifie d'abord l'existence de la Cour des Comptes (on y avait d'ailleurs fait appel pour enquêter sur la commission des naturalisations du Conseil Municipal de Genève, et elle avait rendu un rapport qui avait suscité l'ire de la droite municipale, dont des représentant-e-s n'avaient pas hésité à mettre en cause les compétences des magistrats de la Cour...). Même le Conseil administratif a salué le travail d'une Cour qui ne l'a pas ménagé mais dont il reconnaît que le "regard indépendant (lui) a permis de moderniser et de préciser l'environnement réglementaire" de ses débours.

S'ajoutant à l'"affaire Maudet", celle de l'indemnisation des Conseillers administratifs de la Ville (surtout de l'un d'entre eux) a de quoi perturber la légendaire sérénité politique de la Parvullisime République (et de sa Commune). La Cour des Comptes s'est d'ailleurs faite un tantinet sentencieuse : "Des règles claires, une transparence adéquate ainsi qu'une exemplarité en matière de frais professionnels sont les fondamentaux d'une saine gestion d'une administration moderne. Si l'un de ces principes fait défaut pour les fonctions dirigeantes, c'est potentiellement l'image de l'ensemble de l'organisation et la qualité de ses prestations qui pourraient être fortement dégradées". Ce serait alors une question d'"image" ?  Le  "dégât d'image" est en effet notable, mais il reste accessoire : ce n'est pas l'image des magistrats qui devrait nous préoccuper (c'est à eux de s'en inquiéter), mais le travail qu'ils font, ce qu'ils font du pouvoir qui leur est accordé par leur élection et des moyens qui leurs sont ensuite consentis pour l'exercer. Les parlementaires (municipaux, cantonaux, fédéraux...) ne sont pas des juges -ce qui vaut sans doute mieux pour la justice- mais des politiciens. Ils ont à jauger, pas à juger. Surtout en un temps où, constate Pierre Rosanvallon, "Une démocratie de rejet tend à se substituer à une démocratie de projet". Quant à la Justice, elle pourrait sans doute être saisie pour "gestion déloyale des intérêts publics", mais il faudrait alors qu'il y ait suspicion de tentative d'enrichissement illégitime... Le Conseil d'Etat pourrait certes ouvrir une procédure disciplinaire contre tel ou telle magistrat-e (les sanctions vont du blâme à la révocation), mais cette possibilité est reportée puisque la justice a été saisie et qu'elle est prioritaire . Or le Conseiller d'Etat en charge de la surveillance des communes, et donc de ce dossier, ne serait-ce pas Pierre Maudet ? Quelle crédibilité, dans la situation où il s'est mis, avec la batterie de casseroles qui tintinnabulent à ses basques, aurait-il (et aurait le Conseil d'Etat en tant que tel) pour assumer la paternité d'une sanction ?



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