Vous avez plus de 7000 francs disponibles chaque mois, vous ?


Le voile pudique de la moyenne

On en a de la chance, quand même, d'être si prospères dans ce pays : selon l'Office fédéral de la statistique, en 2016, les ménages de Suisse pouvaient compter en moyenne sur un revenu disponible (le revenu brut moins les impôts, les assurances sociales et l'assurance-maladie) de 7124 francs par mois et pouvoir dépenser 5310 francs pour la consommation de biens et de services... et épargner 1551 francs  Qui dit mieux ? Beautés de la statistique et de la moyenne  qui voilent pudiquement une réalité moins glorieuse : la majorité des ménages (59 %) avaient un revenu disponible inférieur à cette moyenne tirée vers le haut par une petite minorité de ménages très, très prospères... et les ménages ne disposant que de moins de 5000 francs de revenu brut ne pouvaient rien épargner du tout, et devaient en consacrer la totalité aux dépenses obligatoires. Et 7,5 % de la population suisse vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Et un cinquième des ménages de la Ville de Genève ont besoin d'une prestation sociale pour l'entretien de leur enfant en âge de scolarité.  Vous avez plus de 7000 francs disponibles chaque mois, vous ? vous avez de la chance... Si c'était vrai pour tout le monde...


"Vous avez fait des lois contre l'anarchie, faites maintenant des lois contre la misère"


"Vous avez fait des lois contre l'anarchie, faites maintenant des lois contre la misère", enjoignait le 9 juillet 1849 Victor Hugo à une Assemblée Nationale dominée par un "parti de l'ordre" (d'où lui-même venait) qui venait d'écraser la révolte ouvrière qui suivit la révolution de 1848, et qui allait remettre tous les pouvoirs à Louis-Napoléon Bonaparte (lequel avait en son temps promis l'"extinction du paupérisme"). Des lois contre la misère, on en a fait. Et même contre la pauvreté. Mais si on a chez nous presque éteint la première, on n'a pas éradiqué la seconde. Ni la précarité. Et moins encore l'inégalité.

Le travail était en 2015 à l’origine de trois quarts (76,1 %) du revenu des ménages, mais on dénombrait l'année suivante en Suisse près de 329'000 postes à bas salaires, soit 10,2%  de l'ensemble des postes de travail. Comment assurer un revenu disponible suffisant à un ménage dont le revenu réel dépend d'un salaire insuffisant ? La réponse tient de l'évidence : on ne peut y arriver que par des transferts sociaux massifs. Et de fait, on n'y arrive pas. Et c'est le premier facteur de production de la pauvreté.
Un deuxième facteur de production de la pauvreté est un système d'assurance maladie (des primes par tête, et non par ménage, fixées en fonction des coûts de la santé et des besoins des caisses-maladie, non de la réalité sociale et des droits des assurés) qui plombe les revenus de tous les ménages modestes.
Et puis, il y a le montant des loyers, pour tous ceux qui n'ont pas pu obtenir un logement social. On rappellera d'ailleurs qu'à Genève, on compte environ 800 sdf. On dira que c'est peu ? Nous dirons que c'est encore trop, dans une des villes les plus riches de l'un des pays les plus riches.
Un revenu moyen disponible de plus de 7000 francs par ménage en 2016, nous dit l'Office fédéral de la statistique ? Il nous dit aussi que la même année, 7,5% de la population suisse était touchée par la pauvreté en termes de revenu, soit environ 615 000 personnes, dont 140 000 exerçaient une activité professionnelle. Le taux de pauvreté de la population active occupée était de 3,8%. Comme les années précédentes, le taux de pauvreté a tendance à augmenter (6,7 % en 2014, 7 % en 2015, 7.5 % en 2016. La pauvreté a touché surtout les personnes vivant seules, les personnes vivant dans un ménage monoparental avec des enfants mineurs, les personnes sans formation postobligatoire et celles vivant dans un ménage sans aucune personne active occupée.

La pauvreté, pas plus en Suisse qu'ailleurs, ne relève de la fatalité. La pauvreté se produit. Il faut bien alors qu'elle soit profitable à quelques uns -et pas seulement à ceux qui font des pauvres leurs boucs-émissaires. Ceux qui par exemple interdisent depuis le 1er novembre la mendicité dans le canton de Vaud, ou ceux qui l'avaient déjà interdite à Genève.

Il est vrai que cacher la misère est plus facile que la combattre.

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