La COP24 accouche d'un bébé malingre


Tiédissement climatique

La 24ème Conférence des Nations Unies sur le climat, dite COP 24, chargée de déterminer les règles d'application de l'Accord de Paris conclu lors de la COP 21 de 2015, en a, difficilement, accouché. Mais le bébé est malingre, quelque fierté que feint d'en tirer que le président de la conférence (qui s'est tenue à Katowice), le Secrétaire d'Etat polonais à l 'environnement. La COP 24 ne mettra pas les 197 Etats de la convention-cadre sur la voie d'une maîtrise du réchauffement climatique à 1,5°C d'ici la fin du siècle, objectif proclamé pourtant par la COP 21, car les Etats-Unis, le Brésil, l'Arabie Saoudite, le Koweït ont tout fait pour limiter la portée du texte final, formalisant les règles d'application de l'Accord de Paris de 2015. Et y ont réussi : l'accord est muet sur les droits humains et la sécurité alimentaire. Et la réforme des mécanismes d'échange de "crédits carbone" a été reportée à des jours meilleurs. Et plus chauds. Ces mécanismes intéressent bigrement la Suisse, comme tous les pays développés qui achètent grâce à eux le droit à continuer de polluer et de réchauffer le climat en payant ce droit par des investissements à l'étranger dans les énergies renouvelables.


"Nous ne serons jamais aussi radicaux que le moment dans lequel nous sommes"

En 2015, les Nations Unies ont exprimé, plutôt que fixé (elles n'ont en effet pas le pouvoir de les imposer), 17 objectifs du développement durable, déclinés en 169 cibles, en appelant à les atteindre d'ici à 2020 dans le monde entier. Ces 17 objectifs pour un "développement durable" remplacent, précisent et élargissent les huit objectifs du "millénaire pour le développement", centrés sur les pays les plus pauvres et la politique de développement économique et social (alors que ceux qui les remplacent sont posés comme universels et touchent tous les domaines de l'action politique). Et c'est un programme ambitieux, du double point de vue du contenu que du délai, qui est ainsi donné non seulement aux Etats, mais aussi aux ONG, aux entreprises, aux milieux et aux institutions culturelles : affirmer et surtout concrétiser les droits à l'éducation, aux soins, à l'alimentation, aux moyens matériels (salaire, revenu, aide sociale, logement) d'une vie décente, à un environnement vivable, à la préservation des ressources , des sols, des eaux, de l'atmosphère, des espèces vivantes... Coût pour atteindre ces objectifs, si l'on additionne investissements publics et privés : entre 5000 et 7000 milliards de dollars ou d'euros. Ou de francs suisses.

Les Etats doivent rendre compte dans un rapport de leurs efforts et des progrès réalisés pour atteindre les 17 objectifs du "développement durable" : la Suisse a présenté le sien pour la première fois le 17 juillet dernier, et ce rapport a fait polémique : le rapport préparé par l'administration fédérale avait en effet été édulcoré pour ne fâcher personne, ce qui avait en réalité fort fâché la plate.-forme "Agenda 2030" qui regroupe une quarantaine d'organisations de défense de l'environnement, des droits humains, de la paix, des libertés syndicales, de l'économie sociale et solidaire et de la coopération au développement. Il est vrai que la Suisse n'est pas bonne élève qu'elle le prétend (d'ailleurs, la semaine dernière, une loi proposée par le Conseil fédéral a été coulée corps et biens au Conseil national par une addition  de refus contradictoires, la gauche la refusant pour sa prudence excessive, la droite la refusant parce que si petit soit le pas qu'elle proposait, il était encore trop grand pour le PLR et l'UDC...).

Les 17 objectifs du "développement durable" (et la réalité du monde) :
1. Eradiquer la pauvreté (près de 800 millions de personnes vivent avec moins de 1,9 dollar par jour)
2. Eradiquer la sous-alimentation (plus de 10 % de la population mondiale est sous-alimentée)
3. Assurer la santé et le bien-être de toutes et tous (cinq millions d'enfants meurent chaque année avant l'âge de cinq ans)
4. Assurer une éducation de qualité pour toutes et tous (dans les pays "en développement", une fille sur quatre n'est pas scolarisée)
5. Assurer l'égalité entre femmes et hommes (en moyenne et à travail égal, les femmes gagnent un quart de moins que les hommes)
6. Assurer l'accès de toutes et tous à l'eau potable (plus de 40 % de la population mondiale en manque)
7. Assurer l'accès de toutes et tous à une source d'énergie propre et d'un coût abordable (1,2 milliard de personnes n'ont pas accès à l'électricité)
8. Assurer à toutes et tous un travail décent, par une croissance économique maîtrisée (plus de 200 millions de personnes sont au chômage)
9. Développer les infrastructures, l'innovation et une industrie respectueuses de l'environnement (un milliard et demi de personnes n'ont pas accès au téléphone)
10. Réduire les inégalités de ressources (les 10 % de personnes les plus riches cumulent 40 % du revenu mondial)
11. Soutenir l'évolution vers des villes et des collectivités durables, assurer le droit à un logement décent (près de 900 millions de personnes vivent dans des bidonvilles)
12. Assurer une production et une consommation responsables (trois milliards de tonnes d'aliments sont gaspillées chaque année)
13. Lutter contre le réchauffement climatique (entre 1960 et 2017, la température moyenne globale a augmenté d'un demi-degré centigrade et pour stabiliser le réchauffement à 1,5°C, il faudrait atteindre la "neutralité carbone" dans une génération, non seulement en réduisant les émissions mais également en résorbant celles déjà produites et "stockées" dans la nature)
14. Préserver la vie aquatique (la pêche maritime emploie 200 millions de personnes et menace la diversité animale aquatique, la biodiversité des cours d'eau s'est réduite de 80 % en moins 50 ans)
15. Préserver la vie terrestre (les terres cultivables disparaissent plus de trente fois plus vite que dans les années soixante, la forêt amazonienne a perdu 20 % de sa surface en moins de 50 ans, 250 espèces animales et végétales ont disparu de la Suisse, plus d'un tiers de celles qui subsistent sont menacées)
16. Assurer la paix, la justice et des institutions efficaces (la fraude, la soustraction et l'évasion fiscales privent les Etats en développement de plus d'un milliard de milliard de dollars de ressources chaque année)
17 développer des partenariats , notamment publics-privés, pour la réalisation de ces objectifs.

Atteindre ces objectifs relève de l'urgence, mais ne signifie pas encore un changement de société -juste une correction du fonctionnement du capitalisme. Le "développement durable" n'est pas la décroissance, mais le partage de la croissance existante (ce qui tout6efois impliquerait bien une décroissance dans les pays riches), et la reconnaissance de l'universalité du modèle représenté par les pays les plus "développés" : les Maliens ont le droit de vivre comme les Suisses. Fort bien, l'égalité y trouve son compte. Mais pas l'état de la planète -qui y survivrait certes, mais en état inhabitable pour une bonne partie des espèces animales (dont l'humaine) et végétales (dont celles dont se nourrissent les humains). Bref : le "développement durable" est une réforme palliative, la décroissance une révolution, que des manifestes allant au-delà des 17 objectifs onusiens tentent de formaliser. Ainsi du  Manifeste ‘Le temps de l’espoir et de l’action’, lancé par Alternatiba Bayonne le 7 octobre 2018, sous le slogan : "Il est encore temps ! CHANGEONS LE SYSTEME PAS LE CLIMAT" :

- Stoppons l’agriculture et l’élevage industriels, les traités de libre échange, et développons à la place une agriculture locale, saine et écologique, qui permette aux paysans de vivre dignement
- Produisons une alimentation biologique et locale pour toutes les cantines, les maisons de retraite, et toutes les structures de restauration collective
- Réduisons drastiquement la consommation de viande qui émet beaucoup trop de gaz à effet de serre
- Protégeons notre eau et nos terres des pesticides et autres produits chimiques qui nous empoisonnent
- Relocalisons notre économie et notre société, cessons cette compétition destructrice entre régions, pays ou continents, inventons une autre gestion des communs comme la terre, les semences, les logiciels libres ou la biodiversité (aussi par nos monnaies complémentaires NDLR)
- Produisons pour répondre aux besoins réels, et pas pour que quelques-uns accumulent toujours plus de richesses ; finissons-en avec l’obsolescence programmée, la création artificielle de besoins, et la consommation ostentatoire
- Développons le réemploi et les filières de réparation, réduisons et recyclons les déchets au maximum
- Réduisons drastiquement notre consommation d’énergie, arrêtons de gaspiller de l’électricité dans des activités inutiles voire nocives
- Éclairons nos maisons, nos mairies, nos stades avec une énergie 100 % renouvelable, produite localement et contrôlée par nous-mêmes
- Faisons pression sur les banques, ne mettons pas un euro de plus dans les projets d’énergies fossiles et obligeons les entreprises polluantes à réparer la nature et financer l’adaptation
- Fermons toutes les centrales à charbon, les puits de pétrole, les centrales nucléaires ; et passons à la reconversion qui va créer des filières d’emplois durables
-Remettons au centre de nos préoccupations les valeurs de fraternité et de solidarité, le partage du travail et des richesses ; la justice sociale et la démocratie réelle et participative ; développons la coopération et l’entraide entre les habitants des territoires, entre les territoires et envers les personnes migrantes qui ont fui des conditions de vie indignes
- Opposons-nous à la fermeture des services publics de proximité, nos gares, nos écoles, nos hôpitaux, qui empêchent de bien vivre au pays et qui tuent la ruralité
- Sortons les voitures de nos villes, pour y circuler à pied, à vélo ou en transports en commun, remplaçons les camions par des trains et des bateaux pour transporter nos marchandises
- Arrêtons la bétonisation des sols et l’étalement urbain qui détruisent les terres agricoles et les espaces naturels encore existants
Stoppons tout nouveau projet routier, tout nouveau projet d’aéroport, et tout projet de centre commercial. Relocalisons le tourisme et plus généralement nos activités et nos déplacements.

Il y aurait certes encore à ajouter à un tel programme quelques éléments de politique sociale, fiscale, culturelle, mais il contient suffisamment de ruptures pour en exprimer une qui soit décisive. En fait, il ne lui manque que de remplir une condition préalable : une adhésion populaire massive, et décisive. C'est sans doute à cela, l'obtenir, que les partisans d'une telle rupture, d'un tel changement de société, devraient consacrer toutes leurs forces : à conquérir cette hégémonie culturelle sans laquelle ce changement sera impossible. "Nous ne serons jamais aussi radicaux que le moment dans lequel nous sommes".

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