L'AVS a 70 ans ? Ne la mettons pas à la retraite...


Un pilier à défendre...

L'année finissante est celle du centenaire de la seule grève générale que la Suisse ait connue, et dont le cahier de revendication contenait la création d'une assurance vieillesse. Revendication satisfaite rhétoriquement en 1925, par l'inscription de l'AVS dans la constitution fédérale, puis concrètement en 1948 par sa mise en oeuvre réelle, acceptée par le peuple (masculin) avec 88 % des suffrages en 1947. Elle a été révisée dix fois en 65 ans. Le 24 septembre de l'année dernière, le peuple refusait de repousser l'âge de la retraite des femmes à 65 ans. Cette conquête sociale constitue encore aujourd'hui, non seulement le "premier pilier" du système de retraite, mais aussi l'élément principal de l'"Etat social". Or elle est menacée, d'une part par le vieillissement de la population, qui fragilise son financement en déséquilibrant le rapport entre actifs cotisants et retraités rentiers, et d'autre part par les offensives de la droite et du patronat, qui lui privilégie un "deuxième pilier" beaucoup moins solidaire, encore moins solide, mais beaucoup plus rentable pour le secteur financier : cette épargne forcée accumule en effet des centaines de milliards de francs à disposition pour des placements fort rémunérateurs...


2019, année de la défense de l'AVS

La population suisse vieillit. Actuellement, une femme sur cinq et un homme sur six ont plus de 64 ans, et entre un quart et un tiers de ces "seniors" ont 80 ans ou plus. Dans les cantons de Bâle-Ville, Bâle-Campagne, Berne, Grisons, Nidwald, Glaris, Tessin, Schaffhouse et Soleure, la part de personnes âgées a en outre déjà dépassé celle des jeunes. Ce vieillissement démographique fragilise le "premier pilier" du système de retraite, l'AVS, fondée sur un financement par les actifs des rentes des retraités, et sur le plafonnement des rentes, et pour lequel un financement supplémentaire doit être trouvé. Le "deuxième pilier", la prévoyance professionnelle, est cependant encore plus fragile que l'AVS, et sert de plus en plus à rémunérer non ceux qui y cotisent, mais la place financière et les assureurs, à raison selon des estimations fiables de 4 milliards de francs chaque année. De sorte que si les cotisations AVS ne servent qu'à financer des rentes, les cotisations au "deuxième pilier" servent de plus en plus à payer des dividendes.

La "gauche de la gauche" romande (le Parti du Travail et solidaritéS) travaillent, chacun de le côté, à un projet d'initiative populaire intégrant la "prévoyance professionnelle" (le 2ème pilier) dans l'AVS (le premier pilier), ce qui assurerait la pérennité de celui-ci et permettrait une amélioration des rentes, afin de remplir le mandat constitutionnel qui leur impose théoriquement de suffire à assurer une existence digne aux retraités. On dit bien "théoriquement", puisque des centaines de milliers de rentiers AVS ou AI doivent avoir recours aux prestations complémentaires pour atteindre le minimum vital, ou pour pouvoir finir leurs jours dans un EMS. Cela signifie bien que l'AVS et l'AI ne jouent pas leur rôle, qui serait précisément d'assurer au minimum ce minimum, de "maintenir le niveau de vie" des rentiers, comme le prescrit la Constitution fédérale. Or en 2016, 319'000 personnes ont touché des prestations complémentaires (soit 116'000 personnes de plus qu'en 2000), pour un montant de 4,9 milliards de francs (soit plus du double qu'en 2000). Et plutôt que relever l'AVS et l'AI à un niveau qui permettrait aux rentiers et aux invalides de se passer de prestations complémentaires, la droite veut durcir les conditions posées pour y avoir droit : au Conseil national, elle a réduit de 3000 francs les prestations pour enfants de moins de 11 ans, en les fixant à 7080 francs, et introduit un seuil de fortune de 100'000 francs au-delà duquel les PC ne seraient plus accordées, sauf à ce que le logement des petits propriétaires soit mis en gage. De son côté, le Conseil fédéral, pour freiner l'augmentation du nombre de retraités AVS touchant des prestations complémentaires, proposait d'interdire l'utilisation du "2ème pilier" (la prévoyance professionnelle obligatoire) pour l'achat d'un logement ou quitter le salariat pour se "lancer" en indépendant, et d'inciter, voire d'obliger, les détenteurs d'un capital de 2ème pilier à le toucher sous forme de rente mensuelle plutôt que retirer l'entier du capital au moment de la prise de retraite. Motivation de cette proposition selon le gouvernement : trop de détenteurs d'un tel capital le retirent en totalité avant l'âge de la retraite, le consument, et se retrouvent ensuite avec leur seule AVS, en recourant aux prestations complémentaire pour disposer de ressources suffisantes. Mais nul ne peut dire combien de personnes sont dans cette situation de devoir solliciter des prestations complémentaires après avoir "grillé" leur "2ème pilier", et on suppose qu'elle ne forment qu'une part très minoritaire des bénéficiaires des PC : : on n'est pas dans le constat d'une situation fréquente, on est dans la crainte qu'elle ne soit pas exceptionnelle...

Quant au "2ème Pilier", le capital moyen de celles et ceux qui en ont un ne sera vraisemblablement bientôt plus suffisant pour maintenir un niveau acceptable des rentes (les rentes attendues ont d'ailleurs déjà baissé de plus de 20 % depuis 2010), sauf si on continue de travailler après l'âge du droit à la retraite -ce à quoi certaines caisses de retraite encouragent leurs cotisants. Le directeur du Centre patronal vaudois a d'ailleurs proposé d'instaurer un système où il faudrait cotiser pendant 44 ans pour pouvoir bénéficier d'une retraite pleine et entière, avec un taux de conversion (du capital accumulé en rentes) de 6 %, au lieu de 6,8 % actuels. Et le spécialiste de la "prévoyance vieillesse individuelle" (le "troisième pilier") Jörg Odermatt, convaincu qu'"il n'y aura pas de réforme du 2e pilier avant cinq à dix ans" (il s'exprimait en octobre 2017 dans "Le Temps"), explique que l'urgence porte sur un relèvement de la TVA pour financer l'AVS... et sur l'augmentation de l'âge de la retraite des femmes.

La retraite à 67 ans risque ainsi de devenir une réalité sociale avant que d'être une norme légale. L'année qui se termine était celle de la célébration de la grève générale qui revendiquait l'introduction de l'AVS, l'année qui va commencer sera marquée par le combat pour sa défense et de la résistance aux tentatives de repousser l'âge donnant droit à ses rentes.
Et ne comptons pas sur le Père Noël pour mener ce combat à notre place : il a pris sa retraite (et touche des prestations complémentaires pour pouvoir nourrir ses rennes)...


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