Le socialisme, ou comment ne pas s'en débarrasser






Prêche de Frimaire

En ce premier jour de l'hiver, et donc premier jour du premier mois de l'hiver, le mois de Frimaire, et avant de prendre une décade de pause parfaitement imméritée au prétexte de fêtes qu'on se plaît à snober (à quelques écarts près), on se contentera de vous gratifier d'un prêche : la conclusion de l'opuscule* que nous commîmes au début de l'année grégorienne qui s'achève -opuscule qui, soit dit en passant en en tout désintéressement, doit encore pouvoir être trouvé dans quelques librairies pas encore condamnées par le "marché", et opuscule dont nous précisions que l'auteur "est membre du Parti socialiste genevois depuis 40 ans. C'est donc qu'il y a adhéré et qu'il y est resté. Et qu'il n'en a pas été purgé, quelque effort qu'il ait pu faire pour mériter cet honneur, que ce parti accorde si pingrement".


*Pascal Holenweg, Le socialisme, ou comment ne pas s'en débarrasser, Editions de l'Aire, 2018

"Les lumières sont préférables à l'opulence"

Devant un tribunal convoqué par ceux qui ont passé deux cent ans à craindre qu'il aboutisse, le projet révolutionnaire comparaît en accusé par toutes les idéologies et toutes les forces réactionnaires dont plus de deux siècles d'histoire ont accouchées, et cet accusé, les Lumières politiques, est condamné par avance au motif étrange de son échec, ou, plus raisonnablement, de sa nocivité constitutive. Mais s'est-on seulement posé la question de sa réalisation, ou même de sa tentative ? Que la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen ne soit contenue ni dans 1789, ni dans 1793, ni dans 1848, ni dans 1917 tient de l'évidence. Certes, il y eut la Commune, l'Ukraine de Makhno, Cronstadt, l'Espagne libertaire... mais ces révolutions naissantes, au nom de quoi, et par qui, furent-elles étouffées ? La Commune par les républicains bourgeois; Makhno et Cronstadt par les bolchéviks; l'Espagne libertaire par la sainte alliance des staliniens et des franquistes, du parti et de l'Eglise, de la faucille, du marteau et du goupillon. La révolution manquée ou étranglée est jugée et condamnée par ceux qui avaient tout à craindre de sa réussite, et par ceux qui serrèrent le garrot sur les révolutionnaires vaincus -un peu comme ces femmes irlandaises engrossées par leur évêque furent condamnées par leur Eglise pour avoir avorté sur ordre de leur fouteur épiscopal.
Mais les causes perdues sont les seules qui vaillent que l'on se batte pour elles. Nous ne devons aucune loyauté aux vainqueurs, aucun respect aux "gagnants", et n'avons à leur obéir qu'avec la ferme intention de les trahir et le constant sentiment de les mépriser. Seuls les perdants peuvent être magnifiques.

Jamais un coup d'urne n'abolira les clivages politiques. L'obsession du consensus tue la politique elle-même, en tant qu'elle est forcément un affrontement sur ce que Habermas définit comme "les différends non solubles", et qui sont précisément ceux sur quoi porte la distinction entre la gauche et la droite, le conservatisme et le réformisme, la réaction et la révolution : puisque "seul le conflit crée de la conscience", rien ne dissout plus vite, et plus totalement, la conscience politique que la peur de l'affrontement. La peur du conflit doit changer de camp. Toute lutte qui commence, commence par une victoire : son commencement même. Dans un monde qui se donne pour le seul concevable, chaque résistance, chaque conflit, chaque négation de la moindre des parcelles de l'ordre est une défaite de cet ordre puisqu'une manifestation qu'il n'est pas unanimement admis, et donc qu'il n'est pas inéluctable. Même les luttes menées contre tel aspect de l'ordre dominant au nom de telle parcelle du discours dominant recèlent la possibilité d'une victoire contre cet ordre, mais aussi contre ce discours : ainsi des combats pour les "droits démocratiques", les "droits de l'homme", la "liberté de circulation". En certaines situations, rien ne subvertit plus le monde tel qu'il est que le recours au monde tel qu'il dit être. Nous y sommes.
Nous ne serons jamais aussi radicaux que le moment dans lequel nous sommes. Et "les lumières sont préférables à l'opulence" (Article 4.2 de la Constitution de la République Helvétique)

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