Retour à nos portes du terrorisme islamiste


Danse macabre

Un "djihadiste" d'un modèle assez courant dans nos contrées (un délinquant de droit commun et d'habitude, condamné en France, en Suisse et en Allemagne pour près d'une vingtaine de délits divers, "radicalisé" en prison et "fiché S" comme tel) a tué quatre personnes à Strasbourg, pendant le "Marché de Noël" de l'une des deux capitales européennes. Retour à nos portes (il n'avait pas cessé ailleurs, en Irak, au Pakistan, en Afghanistan, en Syrie...) du terrorisme islamiste, et des interrogations qu'il suscite -car il doit en susciter, à la fois sur sa nature et sur les réponses, ou plutôt les ripostes, autres que sécuritaires qui doivent lui être opposées.

"Quiconque aura sa vie à mépris, se rendra toujours maître de celle d'autrui" (Montaigne)

Pour tuer comme tuent les djihadistes où comme tuaient les nazis, il faut que ceux que l'on tue ne soient plus que "ce" que l'on tue. "Ce", pas "ceux" : plus des personnes humaines, mais des objets manifestant ce que l'on a décidé de haïr. Après le carnage de "Charlie", Robert Badinter, évoquant les assassins, écrivait qu'ils "trahissent l'idéal religieux dont ils se réclament". Vraiment ? Se réclament-ils d'un "idéal religieux" pacifique et irénique d'amour, de fraternité ? Non : ils se réclament d'un "idéal religieux" purificateur, d'élimination de ceux qui ne le partagent pas... cet "idéal", ils ne le trahissent pas, ils le mettent en œuvre et la voie qu'ils proposent a l'avantage d’une radicale simplicité : la destruction rapide de soi et des autres, comme remède à toutes les frustrations, toutes les attentes et tous les désespoirs. On n'a pas affaire aux "meurtriers délicats" en qui Albert Camus voyait les narodnikis russes du XIXe siècle, Contrairement à eux, et aux "terroristes" anarchistes, les djihadistes ne cherchent pas à atteindre des cibles déterminées, mais à tuer le plus de monde possible, par n'importe quel moyen -et si possible le moyen le moins sophistiqué possible. Et il ne s'agit que de tuer avant que d'être soi-même tué, non de réaliser quelque projet politique que ce soit.

"Quiconque aura sa vie à mépris, se rendra toujours maître de celle d'autrui" écrivait déjà Montaigne, en pleine guerre de religion (entre chrétiens). Cette prétention à être une menace se réalise par les actes commis, mais surtout, par leur médiatisation : il faut faire peur, et pour faire peur, il faut faire savoir universellement ce qu'on est capable de faire. Les media sont ici l'arme essentielle, non seulement quand ils rendent compte, en boucle, des jours durant, des massacres commis, mais quand ils ajoutent à cette submersion de l'opinion publique par les images des massacres, la publicité faite à leurs auteurs et à leurs commanditaires : chaque biographie, chaque photo, chaque exposé du parcours du djihadiste kamikaze produit d'autres djihadistes kamikazes. Cela recrute en même temps que cela terrifie. Double victoire.

Cette résurgence d'anciennes  formes de fanatisme, s'ajoutant à d'autres  (les tribales, les racistes), et à la tentation constante du repli national, sont, à leur manière, porteuse de quelque chose qui remplace les espérances défuntes de la gauche -même si on conviendra aisément qu'il n'y a pas, ni idéologiquement, ni programmatiquement, grand chose de commun entre le projet socialiste libertaire d'abolition de l'Etat, du salariat et de la propriété privée et le projet djihadiste de se faire exploser devant une école en massacrant un maximum d'écolières au nom de la restauration du califat. Cette espérance insensée n'est peut-être que la manifestation d'une absence : si l'islamisme terroriste peut se faire passer (mensongèrement) comme une force de résistance à la globalisation capitaliste et au fétichisme marchand, c'est bien que les forces qui furent celles de cette résistance ne sont plus que celles d'un accommodement -ou d'une impuissance réduite à psalmodier d'anciens slogans et à les bégayer en langue de bois...

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