Initiative pour le remboursement des soins dentaires : Les dents de l'amer


Dans deux semaines, les Genevois et voises se seront prononcés sur une initiative du Parti du Travail demandant la mise en place d'une assurance obligatoire, cantonale, pour le remboursement des soins dentaires de base, et le développement d'un dispositif de prévention des affections bucco-dentaires. L'assurance serait financée essentiellement par une cotisation salariale paritaire, et par le budget de l'Etat pour le surplus. Un contre-projet qui s'en tenait à l'aspect préventif a été refusé par le Grand Conseil, et seule l'initiative est soumise au vote. Et on lui dira, évidemment, "oui". Parce qu'elle répond à un besoin évident (de l'amer) : celui de permettre à des gens qui n'en ont pas les moyens de recevoir des soins que l'assurance-maladie de base ne rembourse pas.

Une question de justice sociale et de santé publique

L'accès aux soins bucco-dentaires est socialement inégal : ces soins coûtent cher en Suisse, sont à près de 90 % à la charge des ménages, et peuvent peser pour plus d'un cinquième de leurs dépenses de santé, avec pour résultat que 15 à 20 % de la population genevoise se trouve contrainte de s'en priver, totalement ou partiellement, ou de les reporter au risque de les recevoir trop tard, ou de se livrer à un tourisme médical parfaitement explicable, quand on sait qu'un implant coûte en Suisse trois fois plus cher qu'en Italie ou deux fois plus cher qu'en France -pour ne rien dire de l'écart avec la Hongrie ou la Roumanie... Et le contrôle sur le réalité de ces coûts est pour le moins lacunaire, dans un système opaque qui laisse aux caisses privées et aux praticiens une liberté socialement inexplicable de fixer les prix des soins et le montant des cotisations d'assurance -d'autant que les soins dentaires ne sont même pas pris en charge par l'assurance obligatoire "de base". Résultat : plus le revenu des patients potentiels est bas, plus ils ont tendance, ou sont contraints,  à renoncer purement et simplement à se faire soigner -même le Conseil d'Etat le reconnaît, dans la brochure officielle de la votation : "il est vrai que (...) plus la position sociale est défavorable, moins l'état de santé est bon"...

On est donc bien invité à répondre à la fois à une question de justice sociale et à une question de santé publique. Et l'assurance proposée par l'initiative du Parti du Travail, que toute la gauche politique et syndicale soutient, et que toute la droite, MCG compris (et aussi les dentistes, on se demande bien pourquoi) combat, donne la bonne réponse à ces deux questions. En proposant une assurance financée essentiellement par un prélèvement sur le salaire, à parts égales de 0,25 % à la charge de l'employeur et de 0,25 % à la charge de l'employé-e, elle répond à l'impératif de justice sociale : actuellement et en moyenne suisse (la moyenne genevoise étant très vraisemblablement beaucoup plus élevée) chaque personne, enfants compris, dépense (quand elle le peut) 450 francs par année pour ses soins dentaires. Avec ce que propose l'initiative, une personne disposant d'un salaire moyen (environ 7000 francs par mois à Genève, où 30'000 salariés gagnent moins de 4000 francs par mois) verrait certes ce salaire ponctionné de 35 francs par mois, mais n'aurait plus à payer, en plus de ses cotisations à une assurance-maladie privée, ses soins dentaires de base. Et l'assurance étant obligatoire, elle couvrirait également les frais dentaires des retraités et des enfants, des adolescents et des jeunes sans activité lucrative. Pour l'Etat, cette couverture représenterait entre 78 et 135 millions de dépenses supplémentaires par année (bien moins, soit dit, innocemment, en passant, que ce que le projet de réforme fiscale -que les adversaires de l'initiative soutiennent- ferait perdre à l'Etat), mais lui permettrait de réduire les dépenses qu'il consacre à aider les plus défavorisés à soigner leurs maux bucco-dentaires.
Répondant à l'impératif de justice sociale, l'initiative répond aussi à celui de santé publique : le renoncement aux soins bucco-dentaires est un facteur de risques de subir d'autres pathologies, qui, elles, seraient prises en charge par l'assurance de base, comme si on devait se contenter de couvrir des effets en refusant de couvrir leur cause.

"Mieux vaut être assuré qu'assisté", résument les initiants. Même s'il y a un an les Vaudois ont refusé une proposition comparable à celle qui est proposée aux Genevois, on peut le faire passer ici. En Valais, à Neuchâtel et au Tessin, des textes visant le même objectif ont également été déposés : un succès lors du vote genevois leur serait précieux. Et à nous aussi : on pourrait parler de Genève ailleurs en Suisse sans parler de Maudet, mais en parlant politique. Vraiment politique, et pas politicaillerie. De la santé des gens, pas de celle des institutions.

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