Laïcité : votez blanc ou nul


Une loi qui ne mérite ni d'être soutenue, ni d'être combattue

Le 10 février, les Genevois et voises sont appelés aux urnes pour adopter ou refuser une loi sur la laïcité proposée par Pierre Maudet, révisée par la majorité du Grand Conseil après deux ans de travaux et attaquée par quatre comités référendaires. Or cette loi ne mérite ni l'honneur d'un  soutien, ni l'indignité d'un refus : elle ne mérite qu'un haussement d'épaules. Elle sera sans doute acceptée -pas par soutien du principe de laïcité, qu'elle n'exprime que fort imparfaitement et sur certains points très caricaturalement (notamment en transformant les députés et conseillers municipaux en agents de l'Etat), mais par allergie à un fondamentalisme religieux spécifique : l'islamique (ou -"iste"), les autres fondamentalismes religieux ne tétanisant plus grand monde ici et maintenant (ailleurs et en d'autres temps, on en parlerait autrement) : qui a peur, à Genève, en 2019, des Témoins de Jehovah ? Grosso modo, les recommandations de vote des partis politiques se répartissent selon le bon vieux clivage gauche-droite : la gauche et les syndicats appellent à voter "non" à la loi, la droite à voter "oui". Mais des hommes et des femmes de gauche appellent tout de même à voter "oui", des hommes et des femmes de droite (le parti évangélique, l'UDF) à voter "non". Les églises chrétiennes traditionnelles (protestante, catholiques romaine et chrétienne) soutiennent la loi Et on trouve un comité "La laïcité, ma liberté" qui appelle à voter "oui" et un comité "La laïcité, notre liberté" à voter "non". On n'a pas trouvé trace de comité "La laïcité, ta liberté", ou "sa liberté", ou "votre liberté", ou "leur liberté". Alors on les remplace : on créée un comité "la laïcité vaut mieux que cette loi", à laquelle on appelle à voter blanc ou nul, parce que cette ânerie ne vaut pas mieux (ni pire). La constitution de la République pose le principe de laïcité, proclame la neutralité religieuse de l'Etat, lui interdit de subventionner des activités cultuelles, garantit la liberté de croyance et de conscience, cela suffit. "Cette loi ne brime pas la liberté de conscience, elle la cadre", affirme le président du Grand Conseil, Jean Romain, qui soutient ladite loi. Mais depuis quand doit-on, et même peut-on, "cadrer" la liberté de conscience ? S'il est une liberté qui ne peut pas être "cadrée", c'est bien celle-là : on peut cadrer (et on cadre) la liberté d'expression, la liberté de la presse, la liberté d'association, mais la liberté de conscience, elle, est par nature, ontologiquement, absolue.


Il y a des limites à la schizophrénie politique. Même à Genève ? Même...

Que reprochent ses adversaires (les référendaires) à la loi soumise au vote ? fondamentalement, d'être en fait une loi sur les religions, ce qui est évidemment contraire au principe même de laïcité : la loi en effet contient des règles particulières pour les manifestations religieuse, distinctes des règles prévalant pour toutes les autres manifestations culturelles (la présence ou l'absence du "r" de "culturelle" ne justifie pas que l'on fasse des manifestations cultuelles autre chose que des manifestations philosophiques ou idéologiques -et donc culturelles), et les lois existantes suffisent pour préserver l'"ordre public" des "troubles" religieux (ou politiques); la loi proposée aux Genevois maintient également des possibilités pour des organisations religieuses d'utiliser l'administration fiscale pour prélever à leur profit des contributions volontaires, possibilités niées à d'autres organisations religieuses et aux organisations culturelles, politiques, philosophiques. Bref, on a à voter une loi "sur la laïcité" qui érige les religions sur un piédestal, qui en fait autre chose que des philosophies ou des idéologies -autre chose et plus : or c'est précisément ce qu'elles prétendent être.

L'Etat n'a pas de religion ? D'accord. Mais ça implique de ne pas sacraliser l'Etat : ce serait en faire une religion... or il n'est que le produit de la société qui en a accouché... la première République française proclamait l'Etre Suprême et criminalisait l'athéisme, et la première constitution de la République genevoise réservait le droit de vote aux hommes protestants... l'Etat est tout de même une création politique, pas une loi de la nature... la prétention de l'Etat à la neutralité relève de l'ambition de l'Etat d'être la seule forme rationnelle d'organisation de la société. On est dans un choix politique, et donc un choix arbitraire. l'un des choix possibles, rien de plus (ni de moins)... mais quand on fait (comme la loi sur la laïcité proposée au vote des Genevois) d'un député ou d'un conseiller municipal un agent de l'Etat (et qu'on le prive à ce titre frauduleux du droit d'arborer un signe religieux en séance plénière -mais pas en séance de commission), on nie le rôle, la fonction, la légitimité même de ce député ou de ce conseiller municipal -et du parlement lui-même. Quand on siège dans un parlement comme député ou conseiller municipal, on y représente le peuple (si on est élu au scrutin majoritaire) ou un électorat (si on est élu au scrutin proportionnel). Et le cas échéant, on le représente contre l'Etat... Les parlements (celui de Genève comme les autres -mais c'est lui qui a imposé d'étendre à ses membres et àé ceux des conseils municipaux une restriction vestimentaire que le Conseil d'Etat ne proposait d'appliquer qu'à ses membres et à ceux des exécutifs municipaux)  ont été fondés pour représenter la part de la population qu'on considérait comme devant être représentée face à l'Etat, pas pour représenter l'Etat. Et on ne représente que ceux qui nous désignent -et qui nous ont désignés pour ce que nous sommes, et pour les convictions que nous avons ou faisons mine d'avoir -y compris, pour ceux qui en ont, des convictions religieuses. A quoi cela rimerait-il de demander à un élu ou une élue (on notera que, dans le débat du moins, c'est surtout aux élues qu'on le demande...) de dissimuler les "signes" des convictions qu'il a exprimées lorsqu'il ou elle faisait campagne ?

Si le député ou le Conseiller municipal qui siège représente l'Etat (ne fût-ce qu'un centième  ou un millième de l'Etat, ou un octantième de la Commune), il est inutile comme député ou Conseiller municipal, et il vaudrait mieux ne composer le parlement que de fonctionnaires d'Etat. Sans doute la fonction de député ou de conseiller municipal est-elle encadrée par la constitution et les lois de l'Etat, et donc ces élus assurent une fonction que l'Etat attend d'eux -mais cela ne fait pas d'eux des représentants de l'Etat... après tout, l'Etat attend de tous les citoyens qu'ils respectent les lois, voire assument des responsabilités politiques (celles de citoyens, précisément : voter les lois comme les députés, élire les députés et les ministres, et même les juges...), sans faire de tout citoyen un représentants de l'Etat -ce qui serait inverser le rapport entre le peuple et l'Etat dans une démocratie, où c'est l'Etat qui doit assumer une fonction qui lui est déléguée par le peuple, et pas le contraire.
Ou alors, qu'on aille jusqu'au bout logique du raisonnement statocratique, et qu'on prive les parlementaires de tout droit de s'opposer au gouvernement, à l'administration et à l'Etat, tout droit de modifier les lois (de l'Etat) et la Constitution (de l'Etat)... On ne peut en effet à la fois représenter l'Etat et s'y opposer, à plus forte raison le combattre. Il y a des limites à la schizophrénie politique, tout de même. Même à Genève ? Même.
Quoique...

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