Loi genevoise sur la laïcité : Quand un foulard voile un débat


Dans dix jours, les Genevois et voises se seront prononcées sur une loi cantonale qui prétend concrétiser le principe constitutionnel de laïcité de l'Etat. Faible avec les forts, forte avec les faibles, la loi prolonge l'usage de l'administration fiscale pour la collecte des dîmes religieuses, donne à l'Etat la capacité de trier entre les bonnes et mauvaises religions, les bonnes et mauvaises organisations religieuses, mais s'obsède sur les signes religieux portés par des fonctionnaires et des élus (surtout des élues, d'ailleurs, si on en juge par la polémique entretenue dans la campagne de votation sur le voile islamiste). Une conseillère municipale verte de Meyrin siège tête couverte... quel est le problème ? qu'elle porte foulard ou qu'elle ait été élue en le portant pendant sa campagne électorale ? Et si problème il y a, disparaît-il avec le foulard ? une islamiste, l'est-elle moins tête nue qu'enfoulardée ? L'obsession du "signe" religieux finit par voiler totalement le débat de fond sur la laïcité, et sur la loi qui prétend la définir et la préciser. Le vicaire épiscopal (catholique romain, donc) a beau assurer que "le 10 février, la population genevoise ne vote pas sur le port du voile", c'est bien désormais  sur ce signe-là, et grâce à lui, qu'elle votera. Et que la loi sera vraisemblablement acceptée...


"Dans un Etat libre, il est loisible à chacun de penser ce qu'il veut et de dire ce qu'il pense"

La laïcité, que la loi soumise au genevois le 10 février prétend concrétiser, est un instrument, pas une idéologie. Elle est l'instrument par lequel dans une société démocratique , l'Etat est chargé de défendre les libertés religieuses, d'expression, de manifestation, d'association, de presse -la liberté de conscience et la liberté de croyance étant (du moins jusqu'à présent) hors de contrôle, puisque purement intérieures, personnelles. La laïcité, même quand c'est l'Etat qui est chargé de la faire respecter, est une liberté face à l'Etat, comme face aux pouvoirs religieux. On pourrait donc reprendre sans rien (ou presque) en changer la définition "classique" de la laïcité donnée par Jean-Noël Cuénod dans la "Tribune de Genève" : "la laïcité n'est pas opinion comme une autre mais la liberté d'en avoir une. Elle n'est pas une conviction, mais le principe qui les autorise toutes". Mais à condition de ne pas trop les montrer ?  "Dans un Etat libre, il est loisible à chacun de penser ce qu'il veut et de dire ce qu'il pense", plaide Spinoza. Et nous sommes dans un "Etat libre", à supposer qu'un Etat puisse l'être. Dans cet Etat, je pense ce que je veux (ou ce que je peux, ce que mes passions me laissent ou me font penser), ça ne regarde personne tant que ça ne sort pas de mes synapses. Pourrait-il le faire, l'Etat (la loi) n'a pas à faire le tri de ce qu'il m'autoriserait ou m'interdirait à penser, s'il peut faire le tri de ce qu'il m'autorise à dire ou à publier. Ce que je pense ne relève que de ma souveraineté.  Et quand ça sort de moi, quand ça se publie, ce n'est plus à la liberté de conscience que ça renvoie, mais à la liberté d'expression, de presse, de publication, tout ça... or ces libertés là sont instrumentales, et forcément limitées, même dans les régimes les plus "libéraux"... je peux penser les pires saloperies, je ne peux pas forcément les exhaler librement, et encore moins m'organiser librement avec d'autres pour les commettre -mais je peux le faire illégalement, à mes risques et périls : on choisit toujours de faire ou de ne pas faire ce que la loi nous impose ou ce qu'elle nous interdit -on parle ici de lois humaines, sociales, pas de lois naturelles : la pomme qui tombe sur la tête de Newton n'avait pas le choix de tomber ou non, elle obéissait à une loi naturelle, mais porter ou non un foulard "islamique", une kippa juive, une croix chrétienne, une barbe islamiste, une moustache baasiste, c'est un choix. Et face à la loi de la société ou de l'Etat, je décide toujours de la respecter ou non. S i la loi sur la laïcité devait être acceptée, comme il est probable dès lors qu'elle est devenue une loi sur le foulard islamiste, c'est moi et moi seul qui déciderai de la respecter ou non. Et si telle conseillère municipale de Meyrin n'entend pas renoncer à son foulard en séance plénière du Conseil, qu'elle s'y pointe avec son foulard et que ceux qui sont chargés de faire respecter la loi se démerdent...

Quand on passe de la liberté de conscience à la liberté d'expression, on passe d'un absolu à un relatif. Les libertés d'expression, de presse, d'association, renvoient toujours à des critères d'ordre public... mais cela vaut pour la religion comme  pour quelque conviction (politique, philosophique, culturelle) que ce soit. Une loi sur la laïcité cadrant les expressions religieuses ne se justifie pas dès lors que les lois existantes cadrent déjà n'importe quelle autre expression...
Quant à la neutralité vestimentaire exigée par la loi des parlementaires, elle relève du fétichisme : on interdirait à une députée ou une conseillère municipale de porter un foulard islamiste (et si elle mettait un mouchoir sur sa tête au lieu d'un foulard autour ?), mais pas de tenir des propos islamistes ou de proposer le remplacement du code civil par la charia ? il y a là beaucoup d'hypocrisie, et pas mal d'impuissance... mais j'en vois tout autant dans le fait de nous interdire de brandir des pancartes : on est dans un parlement pour défendre des convictions (du moins pour celles et ceux qui en ont et les défendent...)... Pour pouvoir siéger au Conseil Municipal, il faut prêter serment en levant la main droite. J'ai prêté serment en levant la main droite. Poing fermé....d'autres en levant la main droite et en levant trois doigts, comme dans le mythe du serment du Grütli. Faut l'interdire ?

L'Etat doit être neutre, soit. Mais le député, la députée, la Conseillère municipale ou le Conseiller Municipal est précisément élu-e parce qu'il ou elle ne n'est pas neutre et ne peut l'être... ils ne le sont  évidemment pas politiquement, puisqu'ils ont été candidats et le cas échéant élus parce que présentés par un parti ou un groupement qui n'est forcément pas neutre, sur la base d'un programme qui n'est forcément pas neutre non plus, et pour mener une action parlementaire qui ne peut être neutre sans être insignifiante. On n'entre pas dans un parlement comme on entre au couvent ou dans la prêtrise, en faisant vœu d'obéissance et de chasteté, on y entre comme on est et pour ce qu'on est... et donc, sauf coma dépassé et encéphalogramme plat, tout sauf neutre.

Pour paraphraser le slogan des adversaires de l'initiative "contre le mitage", la loi qui nous est proposée est "superflue", mais pas "nuisible". Puisqu'elle est superflue, on ne la soutiendra pas. Et puisqu'elle n'est pas nuisible, on ne le combattra pas non plus. En somme, ce n'est même pas "non" à la loi sur la laïcité : c'est plutôt "rien à foutre de cette loi". Pourquoi s'épancher sur elle, alors ? Précisément pour vous dire qu'on n'en a rien à foutre. Et donc qu'on lui votera vote blanc ou nul. Pas une abstention, mais un vote parce que le droit de vote est un droit démocratique qui, comme tous les autres, s'use quand on ne s'en sert pas. Et un vote blanc ou nul, parce que, comme on ne cessera de le répéter, la loi en cause ne mérite ni l'honneur d'une approbation, ni l'indignité d'un refus. Rien qu'un haussement d'épaule. On en tient d'autres, de ces gestes, en réserve si elle devait être approuvée : on choisit toujours (même quand on proteste hautement de son légalisme le plus sourcilleux) les lois qu'on respecte, celles qu'on subit, celles qu'on ignore et celles qu'on viole.

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