Montée des populismes réactionnaires : Un système antisystème


"Nous assistons à la plus forte vague de mouvements antisystème depuis la seconde guerre mondiale", estime le politologue américain William Galston. "Antisystème", vraiment ? Sans doute rhétoriquement, mais plus concrètement, dans les actes et les pratiques, ce n'est pas le "système" qui subit les politiques populistes -sauf dans le cas de populismes à la fois réactionnaires et révolutionnaires (oui, c'est possible) comme le nazisme- mais les habituels boucs émissaires de l'extrême-droite : les migrants, les petits délinquants, les fidèles de religions minoritaires, les minorités nationales, les artistes et les intellectuels, les homosexuels, les femmes, les handicapés... jusqu'à l'absurde : à  Sao Paulo, pendant la campagne électorale de Jair Bolsnonaro, des cyclistes se sont fait agresser dans la rue parce que pour les bolsonaristes, faire du vélo est un comportement gauchiste.  En outre, il n'est pas besoin d'une longue analyse pour observer que les leaders populistes, de droite comme de gauche, sont souvent de purs produits du système qu'ils feignent de combattre... et sont souvent soutenus par lui, comme Bolsonaro par l'agrobusiness et les propriétaires terriens -en sus de l'être par les évangélistes et les défenseurs des armes à feu. Ces "antisystèmes" font système.

La nature politique ayant horreur du vide, le populisme le remplit.

L'expression est devenue récurrente : "Internationale nationaliste"... Un bel oxymore, ou un joli diagnostic de schizophrénie. Sans doute a-t-on connu dans un passé assez récent (du temps de nos grands ou arrière-grands parents) des alliances, des pactes, des axes entre gouvernements nationalistes (voire plus, ou pire : impérialistes, expansionnistes, et pour quelques uns, génocidaires...), mais on n'en est pas encore là: les convergences entre plusieurs gouvernements européens (le polonais, le hongrois, l'italien, l'autrichien, le roumain, notamment), la Russie de Poutine, les USA de Trump, le Brésil de Bolsonaro, et des partis d'opposition qui rêvent de ne plus l'être, ne font pas encore une "Internationale" : il ne suffit pas d’exécrations communes pour une stratégie commune. A défaut d'une "Internationale nationaliste", assisterait-t-on alors à la naissance d'une "Internationale populiste" ? les mêmes contradictions internes à une "Internationale nationaliste" la traversent (au Parlement européen, les partis et mouvements "populistes" ont formé quatre groupes distincts) mais un gourou trumpiste, Steve Bannon, s'emploie à les surmonter : il a créé un "Movement" (ce populisme-là a une langue : l'anglo-américain), tente de fédérer des partis et des mouvements et a fondé une sorte d'Académie installée dans un monastère bénédictin du Xe siècle, pour former des "gladiateurs" défendant la "base judéo-chrétienne de l'Occident" (dont la "base", gréco-romaine et germano-celtique est pourtant païenne...) contre les "laïcs radicaux, l'élite corrompue et mondialisée, l'immigration massive en provenance de l'Afrique et l'islamisation croissante de l'ouest". De l'"ouest" de quoi" ? la terre étant ronde(encore qu'il est sûrement quelques "gladiateurs" bannoniens qui la croient plate), on est toujours l'ouest d'un est et l'est d'un ouest...

Ces âneries n'empêchent :  "Une nouvelle Europe est en train de naître. Celle des "gilets jaunes", celle des mouvements, celle de la démocratie directe", a proclamé le vice-premier ministre italien, et chef du mouvement "Cinq étoiles" (un populisme plutôt de gauche, allié à un populiste franchement d'extrême-droite, celui de la Lega de Salvini, pour pouvoir gouverner), Luigi Di Maio, en apportant son soutien au mouvement français. La crise de 2008 a nourri l'hostilité générale contre les gouvernants (et d'une manière générale les "élites"), qui ont en effet été les grandes gagnantes de la crise et de la mondialisation, mais aussi les immigrés, qui, eux, n'y sont plus rien -mais font d'excellents bouc-émissaires -d'autant que les politiques d'austérité mises en oeuvre pour éponger la crise en ont aggravé les effets sociaux, en discréditant les politiques économiques libérales, mais en même temps tout ce qui ressemblait à du libéralisme politique, sociétal et culturel. Socialement, la crise a été, dans les pays "développés", ravageuse : gel des salaires et baisse des revenus, chômage, perte de logement... dans le même temps où le secteur financier était massivement renfloué par de l'argent public. En Europe centrale et orientale, ce sont les politiques menées après la chute des régimes "communistes", et l'échec d'une transition à marche forcée vers l'économie de marché, sans se soucier de l'Etat de droit et de l'Etat social et en nourrissant la corruption de dirigeants souvent issus de l'ancien régime, qui ont nourri les populismes autoritaires à la Orban -auxquels nulle force de gauche crédible ne pouvait s'opposer, les partis supposés être sociaux-démocrates n'étant que les anciens partis communistes hâtivement reconvertis. La place était vaste et libre pour des forces politiques dont l'idéologie mêle conservatisme social, racines religieuses, nationalisme et autoritarisme politique. Sans oublier la volonté de contrôler les media et de "normaliser" la culture.

Les populismes européens, note Jürgen Habermas, sont d'autant plus forts que l'Europe politique est faible, qu'elle se complaît dans sa faiblesse, qu'elle "n'entend pas devenir capable d'un agir politique, et que cette absence de volonté politique n'échappe à personne" (surtout pas à Trump et à Poutine, au désir de qui elle répond). La nature politique a horreur du vide -et donc le populisme le remplit. Avec du vide intellectuel mais du plein électoral.

Commentaires

Articles les plus consultés