Révocation des élus : réveil d'un vieille revendication démocratique


Genevois, encore un effort pour être démocrates...

L'"Affaire Maudet" (on suppose que vous savez de quoi il est question...) a déjà eu deux mérites avouables ici : celui de geler le projet d'une prison supplémentaire à Genève, celle des Dardelles, et celui de réveiller une vieille revendication démocratique (et révolutionnaire) : celle d'un droit populaire de révocation des élus. Et pas seulement de Pierre Maudet -il ne s'agirait plus alors d'un droit démocratique, mais d'un droit de vindicte. La première constitution genevoise, celle de 1794, le prévoyait (avec une définition restrictive du "peuple", réduit aux hommes protestants) et la proposition avait été faite (on y avait même contribué) à la Constituante genevoise (dont on n'était pas membre) auteure de la Constitution en vigueur depuis 2012. Mais réveillée aujourd'hui à partir des fautes d'un Conseiller d'Etat, la revendication du droit de révocation des élus ne l'est encore qu'à moitié, ou au quart : on hésite à donner ce droit au peuple et on préférerait le réserver au parlement, et on hésite à l'étendre au parlement (ce qui impliquerait alors qu'on le donne au peuple)... Genevois, encore un effort pour être démocrates...


Il s'agit de démocratie, pas de tir aux pigeons, et de donner un droit, pas de bricoler un pilori.

A Genève, contrairement à Neuchâtel et à plusieurs cantons, un Conseiller d'Etat ne peut être contraint par personne, sauf à être condamné à la privation de ses droits civiques (et donc de son droit d'être Conseiller d'Etat), à quitter sa fonction : il est seul maître de son maintien ou non au sein du gouvernement, privilège qu'il partage, curieusement, avec les conseillers municipaux (les conseillers administratifs, maires et adjoints peuvent, eux, être destitués par le Conseil d'Etat). A Neuchâtel, le peuple avait accepté, le 30 novembre 2014 à 90 % des suffrages, après l'"affaire Hainard" (un Conseiller d'Etat PLR finalement condamné pour abus d'autorité et faux dans les titres) la possibilité de destituer un Conseiller d'Etat. C'est le Grand Conseil qui en déciderait, sur proposition du Conseil d'Etat (à l'encontre, donc, de l'un de ses membres), de la Commission de conbtrôle de gestion ou du bureau du Grand Conseil. Huit cantons alémaniques donnent également cette possibilité, deux d'entre eux la donnant au Grand Conseil, les six autres au peuple. A Berne, 30'000 citoyens peuvent proposer la révocation de l'ensemble du gouvernement ou du parlement.

Notre camarade Roger Deneys propose deux initiatives, l'une, constitutionnelle, posant un principe, l'autre, législative, répondant
spécifiquement à l'"Affaire Maudet". L'initiative constitutionnelle consisterait en l'introduction dans la constitution de la possibilité, "pour de justes motifs" (condamnation pénale, infraction aux devoirs et à la dignité du mandat) de destituer un Conseiller d'Etat ou un magistrat du pouvoir judiciaire, voire de révoquer l'ensemble du gouvernement. La loi réglerait les modalités. L'initiative législative, elle, destituerait le seul Pierre Maudet "en raison des graves atteintes qu'il a portées à la dignité de son mandat". Le MCG aussi s'y est mis : il a déposé deux projets de loi, dont un constitutionnel, et reprend le mécanisme neuchâtelois (en réduisant la majorité parlementaire nécessaire pour une révocation), qui exclut une décision directe du peuple provoquée par une initiative populaire. Or un principe est fondamental : c'est le pouvoir qui désigne qui doit pouvoir démettre. Et le pouvoir qui désigne le Conseil d'Etat et ses membres, c'est le peuple qui les élit : il n'est pas acceptable qu'une instance élue puisse être révoquée par une autre instance élue par le même corps électoral -seul ce corps, supérieur à toutes les instances qu'il élit, a la légitimité pour les révoquer. Et un autre principe est également à retenir : ce n'est pas seulement le Conseil d'Etat (in corpore, et donc tous ses membres) qui doit pouvoir être révoqué, mais aussi le Grand Conseil, les Conseils administratifs (in corpore), les Conseils municipaux, puisque eux aussi sont élus par le peuple. D'ailleurs, dans le système qui est le nôtre, le peuple élit un gouvernement collégial et non une collection d'individualités, et élit un parlement non au scrutin majoritaire mais au scrutin proportionnel, où ce sont les listes (transformées en groupes parlementaires) et non les personnes qui, politiquement, forment le Grand Conseil. Seul devrait pouvoir destituer un magistrats, ou révoquer un gouvernement, ou dissoudre un parlement, celui qui les a élus : le peuple. Et cette destitution devrait être collective, s'appliquer non à une tête mais à l'ensemble des membres d'un gouvernement ou d'un parlement. Autrement dit : il s'agirait d'un droit de censure populaire du gouvernement, entraînant sa démission collective et une nouvelle élection générale, et d'un droit populaire de dissolution du parlement, entraînant lui aussi une nouvelle élection générale.

L'"Affaire Maudet" n'est pas seulement celle des fautes d'un homme, mais aussi, et peut-être surtout, celle des faiblesses d'un système et de l'une de ses institutions politiques fondamentales : un gouvernement. Autant dire que le moment, s'il paraît opportun pour ressusciter la vieille revendication du droit populaire de révocation des élus, ne l'est pas forcément pour en préciser les modalités  le risque est évident d'un travail bâclé, parce que trop ciblé -sur Maudet, précisément. Ainsi, il vaudrait mieux introduire deux droits politiques, démocratiques, nouveaux : celui de censure populaire du gouvernement et de dissolution du parlement, aux deux niveaux cantonal et communal.

Il s'agit à la fois d'élargir le champ des droits démocratiques, et d'éviter qu'ils soient réduits à des règlements de compte ciblés sur des personnes, fussent-elles fautives. Il s'agit de démocratie, pas de tir aux pigeons ou de chasse aux sorcières, et de donner un droit, pas de bricoler un pilori.


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