Procès espagnol des indépendantistes catalans et politique catalane de la terre espagnole brûlée : En arrière, marche !


Rébellion, sédition, désobéissance, détournement de fonds publics : le pouvoir central espagnol n'a pas mégoté sur les chefs d'accusations portés contre les leaders indépendantistes catalans, coupables d'avoir organisé le 1er octobre 2017 un référendum d'autodétermination illégal au regard de la constitution et des lois espagnoles (dont les indépendantistes catalans n'ont cure), et le 27 octobre suivant une proclamation unilatérale d'indépendance de la Catalogne (évidemment encore plus illégale au regard de la même constitution et des mêmes lois). Douze responsables politiques et sociaux catalans sont prévenus, dont l'ancien vice-président du gouvernement régional, Oriol Junqueras (son ancien président, Carles Puigdemont, est en exil en Belgique), Carme Forcadell, ancienne présidente de l'Assemblée catalane, Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, présidents de l'Assemblée nationale catalane et d'Omnium Cultural... L'accusation devra démontrer qu'il y a eu usage de la violence (le crime de rébellion l'implique forcément) dans l'organisation et la tenue du référendum (alors que la violence a en réalité été le fait de la police nationale, aux ordres du gouvernement de Madrid). Les accusés risquent jusqu'à 25 ans d'emprisonnement (pour Junqueras), le procès devrait durer des mois et voir défiler des centaines de témoins. Qu'en attendre ? Rien, sinon une radicalisation des fronts politiques, d'autant que le parti d'extrême-droite Vox a pu se porter partie civile pour utiliser le procès à ses propres fins et se présenter comme le plus fervent défenseur de l'unité espagnole -et pas seulement contre les Catalans : contre les Basques aussi, et les Galiciens, et toute la gauche, et les immigrants, les musulmans, voire les juifs. En chantant "Cara el Sol" et en beuglant "Arriba España". Les manifestations indépendantistes catalanes ont toujours été pacifiques depuis dix ans : tient-on vraiment à ce qu'elles ne le soient plus, et qu'à l'abandon de la lutte armée en Euzkadi succède sa reprise en Catalogne ?

« Une très mauvaise nouvelle pour la Catalogne et pour l'Espagne »


Le gouvernement socialiste espagnol a donc été contraint à convoquer des élections législatives anticipées, par le refus des indépendantistes catalans de voter son budget -et même par leur ralliement, pour le refuser, à la droite et à l'extrême-droite anticatalanistes. C'est la "politique du pire", a résumé la porte-parole du gouvernement : une politique qui consiste à s'allier à ses pires ennemis, ceux-là même qui veulent interdire les partis indépendantistes... Un choix "irresponsable", a estimé la Maire (de la gauche alternative) de Barcelone, Ada Colau, une "très mauvaise nouvelle pour la Catalogne et pour l'Espagne", a confirmé le Premier secrétaire du PS catalan. Et on ajoutera pour l'Europe, tant le gouvernement espagnol faisait heureusement tache de couleur dans la grisaille brunâtre dominante.

Le Premier ministre Pedro Sanchez avait conclu avec la gauche de la gauche (Podemos) un accord politique sur le budget, faisant de celui-ci le plus progressiste depuis des dizaines d'années : revalorisation des pensions, des salaires et des aides sociales, refinancement de la santé, de l'éducation et des investissements, gratuité des médicaments pour les retraités nécessiteux, augmentation du congé paternité, régulation du prix des loyers... "Le budget le plus social de l'histoire de l'Espagne tombe", résume la porte-parole de Podemos. Ces mesures ne sont pas annulées (mais la "taxe Google" et la taxe sur les transactions financières le sont), mais sont privées de financement (ce qui conduirait le budget à un déficit de 2,5 % du PIB, deux fois plus que requis par les règles européennes), et le bilan des huit mois de gouvernement Sanchez , y compris symboliquement (comme l'accueil de l'"Aquarius", et la formation d'un gouvernement majoritairement féminin) et à contre-courant de la vague xénophobe qui traverse toute l'Europe, une politique d'asile ouverte et solidaire. était donc forcément, éminemment négatif du point de vue de la droite et de l'extrême-droite), La "très mauvaise nouvelle pour la Catalogne et pour l'Espagne" que constitue la chute possible du gouvernement Sanchez l'est aussi pour l'Europe, tant le gouvernement espagnol faisait heureusement tache de couleur dans la grisaille brunâtre dominante.

Les élections anticipées auxquelles le gouvernement socialiste a été contraint par le refus des indépendantistes catalans (au contraire des nationalistes basques, qui lui ont maintenu leur soutien, comme la gauche de la gauche, Podemos) de voter son projet de budget si le gouvernement central n'acceptait pas d'organiser un scrutin d'autodétermination en Catalogne, se tiendront le 28 avril à l'ombre non seulement de la crise catalane, mais aussi de celle... du général Franco, dont le gouvernement de Pedro Sanchez a ouvert officiellement le processus d'exhumation de la dépouille de son mausolée du Valle de los Caldos (construit par des prisonniers républicains) : "l'Espagne ne peut se permettre un monument en hommage à un dictateur", a résumé Pedro Sanchez. Peut-elle se permettre des élections qui verront les nostalgiques dudit dictateur (le parti d'extrême-droite Vox) entrer au parlement et y constituer une majorité gouvernementale avec la vieille droite du Parti "populaire" et la nouvelle droite de Ciudadanos ? Les indépendantistes catalans semblent ne pas y voir de problème. Parce que pendant toute la campagne électorale, leur agenda (comme, a contrario celui de Vox) est dominé par le procès délirant fait à leurs leaders emprisonnés. Certes, le PS est en tête des sondages (Sanchez a réussi à reprendre le terrain perdu depuis des années), avec entre 24 et 29 % des intentions de vote, mais il lui faut des alliés pour pouvoir continuer à gouverner. Or Podemos est lâché autour de 15 % et si les nationalistes basques (de gauche et de droite) sont majoritaires en Euzkadi, ils ne pèsent guère que 2 % des suffrages au plan national... pendant quoi le PP et Ciudadanos totalisent ensemble 40 % des suffrages et que Vox est donné à 10 %...

Vox (l'extrême-droite), le PP (la vieille droite) et Ciudadanos (la jeune droite) ont fait, font et vont faire pendant deux mois de l'unité forcée de l'Espagne le thème principal de leur campagne. Ils ont d'ailleurs commencé le 11 février avec une manifestation de plusieurs dizaines de milliers de personnes (manuel Valls compris) à Madrid (à laquelle a répondu une manifestation en sens contraire de plusieurs centaines de milliers de personnes à Barcelone).  Les socialistes (PSOE), la gauche de la gauche (Podemos) et les nationalistes basques prônent le dialogue avec les indépendantistes catalans. Qui eux s’arque-boutent sur la revendication d'autodétermination, fût-ce en rupture avec la constitution espagnole (qui d'ailleurs, étant celle de la "transition démocratique" d'il y a plus de quarante ans, mériterait une bonne réforme, notamment en ce qui concerne précisément les modalités du droit des nations constitutives de l'Espagne à l'autodétermination) : La Charte des Nations Unies sur les droits civils et politiques proclame le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes -et donc à se constituer en nation, et donc à  se doter d'un Etat. Le droit, pas l'obligation. Reste à définir ce qu'est un peuple et une nation. Or ils ne se définissent que par eux-mêmes, par la volonté d'une collectivité humaine de se dire peuple, et de ce peuple de se dire nation. Et s'il le souhaite, de se doter d'un Etat indépendant.
Encore qu'il n'y soit nullement obligé : Genève peut bien être une République et un canton à la fois...



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