Drame à Genève : le PS déçoit la droite...


D'entre deux maux et deux mots...

Le Comité directeur du PS genevois propose à l'Assemblée Générale du parti, qui se tiendra le 12 mars prochain, d'appeler à voter "NON" aux deux réformes fiscales soumises à votation en mai, la réforme fédérale et la réforme cantonale. La situation du PSG est intéressante : quelle que soit la position que prendra son assemblée générale, elle sera contradictoire d'une autre : si elle soutient la réforme fiscale cantonale, cette position sera contradictoire à la fois de celle prise sur la réforme fédérale, contre laquelle le PSG a soutenu le lancement du référendum, et de celle sur l'initiative "zéro pertes", dont le PS a soutenu le lancement. Et si, comme il devrait, le PS combat la réforme fiscale cantonale, il reviendra sur le vote d'une minorité de ses députés au Grand Conseil (la majorité n'ayant pas participé au vote). Le PS a donc le choix entre une contradiction avec une minorité de son groupe parlementaire et une double contradiction avec lui-même. A notre humble (clause de style...) avis, la première contradiction est infiniment plus bénigne que ne le serait la seconde : de deux maux il devrait choisir le moindre, et de deux mots (d'ordre) le plus clair : un double NON à la double réforme fiscale, fédérale et cantonale.


La position du Comité directeur du PS a déçu la droite. On en est tout marris.

Il y a deux éléments, d'inégale légitimité, dans les réformes fédérale et cantonale de l'imposition des entreprises : il y a d'abord l'égalisation des taux d'imposition, objectif louable, que nul ne conteste, et qui consiste à imposer les bénéfices de toutes les entreprises selon un taux égal (en augmentant un peu les taux d'imposition des multinationales et en baissant beaucoup les taux d'imposition de toutes les entreprises), et donc à abolir les statuts spéciaux (et particulièrement avantageux) dont bénéficiaient les multinationales. Mais derrière lui, et à sa faveur, il y a ce deuxième objectif (et vieille obsession de la droite) de baisser les impôts en général, et ceux des entreprises en particulier.
Le premier objectif, celui de l'égalisation des taux d'imposition, n'est atteint qu'imparfaitement puisque la réforme proposée accorde des possibilités de déduction que seules certaines entreprises pourront utiliser. Quant au deuxième objectif, il est, lui, atteint pour toutes les entreprises qui ne bénéficient pas d'un statut spécial, et par le concours de dumping fiscal auquel se livrent, entre eux, tous les cantons : à Fribourg le parlement propose un taux d'imposition "normal" des entreprises à 13,76 % (un référendum a été lancé), Vaud l'a fixé à 13,49 %, à Genève le parlement propose 13,99 %, dans le Jura le gouvernement propose 15 %... mais aucun de ces taux ne permet d'éviter des pertes de ressources pour le canton concerné et ses communes, même si la part des cantons au produit de l'impôt fédéral  a été relevée de 17 à 21,2 % (mais communes comprises). La réforme fédérale ne le permet évidemment pas non plus : elle devrait entraîner au moins deux milliards de pertes fiscales. Et elle maintient des possibilités de déductions fiscales qui étaient contenues dans le projet refusé en 2017, la RIE III, quitte à les atténuer quelque peu : déduction pour autofinancement, déduction de bénéfices provenant de brevets, abattements pour frais de recherche et de développement.

On ajoutera à ces deux éléments un troisième, qui à lui seul justifierait que l'on refuse le "deal" proposé : pour la réforme fédérale, un franc de soutien à l'AVS pour un franc de perte fiscale estimée (soit deux milliards de francs dans chaque colonne...) et pour la réforme cantonale, 186 millions de hausse des subsides d'assurance-maladie. On ficelle ainsi une réforme fiscale et le subventionnement d'une assurance sociale sans que ce subventionnement soit en quelque manière une compensation des effets de cette réforme. Un "cas limite" d'unité (ou non) de la matière, selon l'Office fédéral de la justice, consulté par le gouvernement fédéral sur la réforme fédérale. Mais un "bon compromis" (imaginé par le Conseil des Etats) selon le même Conseil fédéral, qui l'assume  parce qu'il a compris que c'était le seul moyen de faire passer, ensemble, en exigeant qu'on les accepte ou les refuse les deux en même temps, deux réformes que jusqu'à présent il avait été incapable de faire accepter par le peuple. D'où l'étrange attelage UDC-PS qui porte ce "compromis" : Ueli Maurer pour la réforme fiscale, Alain Berset pour le financement de l'AVS. Et le président sortant de l'Union Syndicale, Paul Rechsteiner, qui, estimant que "le financement supplémentaire de l'AVS est positif à tout popint de vue", confirme que ce financement "a été décisif" dans le soutien de l'USS et du PSS au projet, et livre la conclusion subtile à laquelle est précisément destinés le ficelage du soutien à l'AVS et de la réforme fiscale : "quiconque rejette ces deux milliards par l'an pour l'AVS ne réalise pas ce qu'il est en train de combattre". Eh bien si, on réalise : on est en train de combattre une méthode politiquement malhonnête.  Le Parlement et le gouvernement proposent donc ensemble d'accorder deux milliards de francs à l'AVS en "compensation" des deux milliards de pertes estimées pour la Confédération, les cantons et les communes, du fait de la baisse du taux d'imposition des entreprises. Sauf que les deux milliards accordés à l'AVS sont un montant fixe alors que les deux milliards de pertes ne sont qu'une estimation. Et que la moitié des deux milliards accordés à l'AVS seront couverts par une hausse des cotisations paritaires à ce premier pilier du système de retraite. Et que ces deux milliards ne permettront qu'un répit.  Et que la droite n'entend pas renoncer à repousser de deux ans l'âge de la retraite des hommes... et de trois ans celui des femmes. Reste que si on accepte ce soutien supplémentaire à l'AVS, on est tenu d'accepter aussi la baisse du taux d'imposition des entreprises. Et que si on refuse cette baisse, on doit aussi refuser ce soutien. On parle d'un "paquet ficelé" mais c'est le citoyen et la citoyenne qui sont ficelés...

La réforme fiscale cantonale fera, si elle est acceptée, perdre aux communes au moins 46 millions de rentrées fiscales la première année, et jusqu'à 80 millions la cinquième (entre les deux, les pertes vont croissant), selon des estimations dont on attend la confirmation. Pour des villes dont les budgets sont serrés, voire déjà déficitaires, ce sont des millions de francs qui manqueront, et provoqueront des déficits ou aggraveront ceux déjà assumés. Les pertes totales pour le canton et les communes devraient se situer (toujours selon des estimations non confirmées) entre 232 millions la première année et autour de 400 millions la cinquième année. Le frein à l'endettement devrait certes être levé, mais avec un plafond à 372 millions, soit moins que les pertes estimées pour les quatrième et cinquième années. Dès lors, les communes, les villes en tout cas, voire le canton, auront le choix entre trois solutions, même pas exclusives l'une de l'autre : réduire les prestations ou/et augmenter les impôts ou/et s'endetter*

La position du Comité directeur du PS en faveur d'un double NON aux réformes fiscales a déçu la droite ? On en est tout marris. Evoquant une possible décision de l'assemblée générale des socialistes genevois de revenir sur le soutien des quelques députés ayant voté au parlement en faveur de la réforme fiscale cantonale, le député PLR Yvan Zweifel grogne : "cette volte-face est une trahison. Le PS a perdu toute crédibilité à nos yeux"... Bon, déjà que le jugement du député PLR Zweifel en particulier et du PLR en général sur notre crédibilité, on s'en tape, mais vu l'état du PLR en ce moment, on peut douter de la crédibilité de son jugement de la crédibilité des autres... Quant à la chroniqueuse genevoise du "Temps", elle évoque "le dangereux tête-à-queue des socialistes sur la RFFA" (on est bien contents de retrouver Françoise Buffat, réincarnée en Laure Lugon Zugravu). Un "tête-à-queue" ? juste la volonté de retrouver une ligne cohérente. Et comme l'a résumé le porte-parole de Thierry Apothéloz :"le comité directeur a proposé, le parti disposera et la démocratie interne au PS parlera". Elle parle d'ailleurs déjà...

*Les impôts communaux vont déjà du simple au double, selon qu'il s'agit de communes résidentielles friquées et de droite ou de villes de gauche, les secondes assumant ces mêmes prestations sociales et culturelles que la perte de ressources fiscales menacent. Les communes de Genthod (25 centimes additionnels) Collonge-Bellerive (29), de Cologny (29), de Vandoeuvres (31) ou d'Anières (32) n'auront certes pas besoin d'augmenter leurs impôts pour financer leurs prestations sociales et culturelles, elles n'en accordent quasiment pas. Mais Onex (50,5), Vernier (50), Lancy (47) Genève (45,49), Meyrin (44) n'auront pas le choix : augmenter les impôts, réduire les prestations, s'endetter... ou tout cela à la fois... D'autant que le canton veut faire assumer par les communes une partie des dépenses sociales qu'il entend toujours déterminer seul...

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