Fin du premier acte du "Grand Débat" français : Jupiter regonflé...


La première phase du "Grand Débat" national lancé par Emmanuel Macron est terminée, place aux "conférences nationales" avec des organisations sociales (syndicats, associations), ces fameux "corps intermédiaires" que le macronisme jupitérien méprisait. De réunions locales seront faites des synthèses soumises à des citoyens tirés au sort. Et le parlement se saisira du résultat de cette vaste consultation, avant que le gouvernement y puise des propositions qui reviendront au parlement, voire des décisions qui n'auront pas besoin de l'aval parlementaire. Et peut-être un référendum pour clore le débat par des questions d'ordre institutionnel (référendum d'initiative populaire, prise en compte du vote blanc etc...) afin de donner ou redonner au président et à son gouvernement (du moins si le résultat du référendum est positif pour ses organisateurs) une légitimité qu'une dissolution de l'Assemblée nationale ne lui (re)donnerait pas. Bref, on est largement dans le flou quant aux résultats de l'exercice -sauf sur un point : il a regonflé Jupiter. Et les violences de samedi dernier n'y changeront rien, au contraire...

Un débat entre celles et ceux qui déjà débattaient


"La France n'est pas un pays comme les autres", écrivait son président dans sa lettre de lancement du "grand débat national" : "le sens des injustices y est plus vif qu'ailleurs, l'exigence d'entraide et de solidarité plus forte". Or ce pays "n'offre pas les mêmes chances de réussir selon le lieu ou la famille d'où l'on vient". Pas les mêmes chances de réussir, et pas non plus les mêmes chances de prendre part au "grand débat" macronien : qui s'est exprimé dans les milliers de débats organisés ? Pour l'essentiel, selon les premières analyses de la participation aux débats : celles et ceux qui déjà s'exprimaient ou pouvaient le faire ailleurs -dans les media, les conseils municipaux, le tissu associatif. Des hommes et des femmes disposant d'une bonne formation, d'un revenu suffisant à couvrir leurs besoins et leurs envies, de liens sociaux solides, d'un bagage culturel (au sens large) étendu. Bref, si ce concept a un sens, cette fameuse "classe moyenne" dont on nous rebat les oreilles. La France d'en-bas n'était présente et audible qu'à la marge des débats. Et celle de tout en bas totalement absente. Au "grand débat" ont surtout participé celles et ceux qui déjà débattaient ou pouvaient débattre (quoiqu'il se soit tenu même dans les prisons, avec les détenus  : l'administration pénitentiaire a organisé une centaine de débats jusqu'au 15 mars). Quand aux protestataires, gilets jaunes, rouges ou verts, ils étaient tiraillés entre la dénonciation de la manœuvre politicienne et l'envie de prendre part, même sans illusion, ou même pour le subvertir, à l'exercice, quitte à le concurrencer par leurs propres plate-formes, ne limitant pas les questions posées ni le champ des propositions.

Et de quoi ces débatteurs ont-ils débattu ? Dans  sa lettre aux Françaises et Français pour lancer le "grand débat national", le président Macron écrivait qu'"il n'y pas de questions interdites. (...) nous sommes un peuple qui n'a pas peur de parler, d'échanger, de débattre". Et le président signait : "en confiance". Le débat a traité de quatre thèmes : impôts, dépenses et action publique; organisation de l'Etat et des collectivités publiques; transition écologique, démocratie et citoyenneté (dont la question de savoir s'il faut "accroître le recours aux référendums et qui doit en avoir l'initiative ?").
Toutefois, certaines questions posées dans le débat officiel orientaient la réponse -ou du moins, exprimaient les a priori du questionneur. Quand la questionnaire demande : "que faudrait-il faire pour protéger la biodiversité et le climat ?", c'est pour ajouter : "... tout en maintenant des activités agricoles et industrielles compétitives par rapport à leurs concurrents étrangers"... et si la "compétitivité des entreprises" était le dernier souci des questionnés ? Et quand le questionnaire parle des impôts, si la question commence par "comment-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ?", elle se poursuit par "quels impôts faut-il supprimer en priorité ?", non pas "quels impôts faut-il introduire, ou rétablir, en priorité ?"...

De toute façon, le président-débatteur avait prévenu : il ne changera pas de politique -tout au plus de méthode. Et encore. Il entend toujours rompre avec "le vieux monde" (celui des "gilets jaunes" ? "cours, président, le vieux monde est derrière toi..."). Mais il se propose désormais de le faire avec la "société civile". Changement de contenant, pas de contenu : les "grandes réformes" de l'assurance-chômage, de l'Etat et de la laïcité sont toujours à l'agenda. Et le président esttoujours à l'Elysée. Et sa majorité parlementaire toujours majoritaire. Et sa liste aux Européennes toujours en tête des sondages. Et sa cote de popularité et de confiance a repris des couleurs. Bref : on ne sait pas ce qui pourra sortir du "Grand Débat", mais on sait déjà qui en est le gagnant : son organisateur. Ne l'avait-il pas organisé pour cela ?

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