L'ordre politique doit naître de l'ennui qui naît de l'uniformité


Neutralisons !

Le PLR municipal genevois a déposé un projet de délibération modifiant le règlement du Conseil afin d'y inscrire des règles portant sur les apparences vestimentaires et les modes d'expression des conseillères et conseillers municipaux. Le fétichisme vestimentaire est un peu une manie de la droite locale, elle nous avait déjà fait le coup avec les tenues de bain dans les piscines municipales, elle récidive avec les tenues de séance au Conseil municipal. Pour les apparences lors des séances plénières, le PLR ne s'est pas contenté de reprendre en substance une disposition de la loi cantonale sur la laïcité -celle qui, absurdement, prescrit qu'en séances plénière, "les membres du Grand Conseil et des Conseils municipaux s'abstiennent de signaler leur appartenance religieuse par des signes extérieurs", il y a ajouté une pétition de principe normalisatrice, selon quoi "il importe de clarifier explicitement les limites à l'intérieur desquelles la tenue et le comportement des conseillères et des conseillers municipaux doivent s'inscrire afin de consolider et de maintenir la sérénité des débats parlementaires". Et donc, clarification explicite : les élus et élues doivent se vêtir d'une tenue "neutre s'apparentant à une tenue de ville". Genre employé de banque des années cinquante et institutrice des années soixante ? Il s'agit de neutraliser les apparences pour normaliser le parlement. Neutraliser la forme, avant que de pouvoir neutraliser le fond. La proposition a été renvoyée pour étude en commission. On pourrait, si on était fatigués, se contenter de s'y opposer en arguant  que la loi cantonale suffit, si absurde  qu'elle soit. Mais on n'est pas fatigués. Et donc
on se servira du projet de règlement que le PLR nous soumet comme d'un marchepied, pour aller plus loin dans son ambition : la normalisation du Conseil municipal de Genève.

L'Ennemi (avec la majuscule qui convient au Démon), c'est le pluralisme

La proposition du PLR de normalisation vestimentaire des élus municipaux pose une bonne question, et commencerait presque à lui donner un début de bonne réponse, si comme souvent, le PLR ne tenait pas la distance de son effort, ne tirait pas les conclusions de ses prémices et ne s'arrêtait pas au milieu du gué. La bonne question  : comment freiner, voire stopper, l'inexorable glissade de notre parlement municipal  (délibératif, certes, mais parlement tout de même) sur la pente du désordre, au bout de laquelle, comme dirait le Maire de Champignac, se profile le spectre hideux de l'anarchie ? Et le PLR d'esquisser un début d'embryon d'un brouillon de réponse : réduire le pluralisme vestimentaire, rhétorique, politique, philosophique (et donc religieux), idéologique et politique dont  le conseil municipal genevois est si gravement frappé. Vers cette œuvre de salubrité publique, le PLR fait le premier pas. Celui qui ne coûte pas grand chose si on ne le fait pas suivre d'autres pour traduire en normes claires et impératives la noble, et indispensable, volonté de normaliser ce conseil.


Mais face au mal sournois qui nous ronge, le texte du PLR souffre d'une navrante pusillanimité. Il nous faudra donc le renforcer, le préciser, le radicaliser, pour faire front 
à un pluralisme vestimentaire, idéologique, politique, philosophique, pervertisseur et fauteur d'un désordre menant au chaos. Nous avons à affirmer la légitimité et l'urgence de l'uniformité. De l'uniformité vestimentaire.De l'uniformité des discours. De l'uniformité des attitudes. De l'uniformité des références et des révérences. Et finalement, au bout, tout au bout du compte, de l'uniformité des positions.

Nous devons inscrire dans notre règlement, à défaut de pouvoir le faire à l'entrée de nos salles de séance, cette annonce : "vous qui entrez ici, neutralisez vous ! Vous n'avez plus d'histoire personnelle, plus de convictions, plus de programmes, plus de projets, et si même il vous en restait un brin, une miette, un fétu, vous devrez surtout ne pas en faire état et ne pas le montrer". Parce qu'au fond, qu'est-ce qui remet en cause l'ordre d'un parlement sinon la multiplicité des opinions qui s'y expriment ? Dès lors, qu'elles s'expriment par des mots, des gestes, des objets, des vêtements, peu importe : en s'exprimant, elles troublent l'ordre. Et seuls des anarchistes se sachant ou s'ignorant tels peuvent encore proclamer qu'un parlement est un lieu de débat, un espace politique où s'affirme la diversité sociale, politique, culturelle de la société dont ce parlement est supposé être l'émanation.

L'Ennemi (avec la majuscule qui convient au Démon), c'est le pluralisme. Alors, réduisons-le partout où nous le voulons, abolissons-le partout où nous le pouvons, rendons-le au moins invisible grâce à une police des apparences et des discours, et nous aurons enfin un conseil municipal fonctionnel, sans troubles ni disputes, sans contradictions ni oppositions.  Un Conseil municipal parfait. Et suprêmement ennuyeux, de cet ennui qui naît de l'uniformité, mais qui assure l'ordre. N'importe quel ordre, mais l'ordre.
Nous aurons alors atteint la perfection de notre fonctionnement : un parlement qui ne parle plus, un délibératif qui ne délibère plus, un conseil qui ne conseille plus, un dortoir qui vote. Unanimement et uniformément.

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