Elections espagnoles : victoire des socialistes, succès de l'extrême-droite



¡salud!

"Nous ne choisissons pas le pays où nous naissons, mais en démocratie nous pouvons choisir un pays avec plus de justice sociale, d'égalité et de convivialité" : Pedro Sanchez avait, en résumant ainsi le choix offert aux électrices et aux électeurs espagnols, appelé à lui redonner une majorité parlementaire lui permettant de rester au pouvoir et de mener une politique socialement progressiste, et "nationalement" pacificatrice du conflit catalan. "Nous pouvons choisir", proclamait le Premier ministre socialiste, Pedro Sanchez. Les Espagnols ont choisi (la participation a été massive) : le PSOE de Sanchez sort largement vainqueur des élections -sans majorité absolue des sièges à la Chambre basse (les Cortes) et donc, même s'il gagne une telle majorité au Sénat,  contraint à une alliance -qui ne peut se faire qu'à gauche, avec la gauche de la gauche de Podemos (qui recule) et la gauche républicaine de Catalogne (dont le leader, Oriol Junqueras, est en prison pour sa participation au processus d'autodétermination), qui devient le premier parti "catalaniste", et peut-être même le premier parti de la région-nation. Le PSOE n'a pas la majorité absolue des sièges à lui tout seul ? Tant mieux : une alliance à gauche lui évitera de faire des conneries... Il devrait également pouvoir bénéficier du soutien du Parti nationaliste basque.  En face, aucune coalition éventuelle de droite et d'extrême-droite n'est envisageable : le Parti "populaire" (la droite conservatrice) est en chute libre, la droite libérale de Ciudadanos et l'extrême-droite de Vox (qui entre au parlement, mais avec moins de sièges que l'annonçaient les sondages, et même moins que les partis nationalistes catalans et basque) se partageant son électorat perdu. L'Espagne a donc voté à gauche, et ça fait d'autant plus de bien par où ça passe que dans le reste de l'Europe (sauf, S.E.O., en Grande-Bretagne, au Portugal et en Finlande), le vent ne souffle pas vraiment dans ce sens...


"Voici neuf ans que les gens de ma génération ont l'Espagne au coeur"
(Albert Camus, en 1945).

Pedro Sanchez avait, avant même les élections, réussi un pari qu'on pensait impossible : ressusciter le PSOE. Il avait eu fort à faire, face à la fois à la concurrence de la gauche de la gauche (Podemos) et à l'opposition rogneuse des vieux caciques de son propre parti. Il avait réussi à remporter cette concurrence grâce à un discours "regauchi", et à surmonter cette opposition grâce au soutien de la base militante du PSOE. Et grâce à une victoire parlementaire inespérée : une motion de censure déposée contre le gouvernement de droite de Mariano Rajoy, et votée avec l'appui de Podemos et des indépendantistes catalans et basques. Au pouvoir pendant dix mois, il a commencé à mettre en œuvre un projet social progressiste -qu'il n'aura cependant pas pu achever, le budget qu'il proposait ayant été refusé par le parlement faute, cette fois, du soutien des indépendantistes catalans. Mais face à la crise catalane, il aura réussi à apparaître comme le seul dirigeant politique "unioniste" capable de dialogue, même si le procès intenté aux dirigeants indépendantistes continue de pourrir le débat politique. Malgré quoi, c'est bien le clivage fondamental, le clivage gauche-droite, qui sort des urnes d'hier, avec d'un  côté le PSOE, Podemos et la gauche républicaine catalane, et de l'autre le PP, Ciudadanos et Vox.

Le chef de l'extrême-droite, Santiago Abascal, déçu de ses 24 députés (il en espérait le double) et de la défaite de la droite (il espérait pouvoir lui dicter une coalition gouvernementale), s'encolérait hier soir : "L'Espagne est aujourd'hui dans une situation pire qu'hier". Autant dire qu'elle est dans une situation bien meilleure... La droite ne pouvait majoriser le PSOE et ses alliés possibles qu'avec l'appui de l'extrême-droite de Vox (qui n'est après tout qu'une scission de la droite du PP), et à ses conditions. Or le programme de ces néo-franquistes requinqués par la crise catalane, pour qui l'Espagne est assiégée pêle-mêle par les séparatistes, les immigrants, les musulmans, les féministes et les progressistes, est sans équivoque : abolition des autonomies régionales, mise sous tutelle de la Catalogne (pour commencer), suppression des aides aux femmes battues, expulsion de tous les sans-papiers, érection d'un mur à Ceuta et Melilla (les dernières possessions espagnoles au Maroc), fin de l'enseignement de l'islam. Du coup, la droite conservatrice du Parti populaire (la "petite droite trouillarde", selon Vox) a dû se mettre au diapason, à droite (catholique) toute: elle rejette le projet de loi socialiste sur le droit au suicide assisté, remet en cause le droit au mariage des homosexuels et le droit à l'avortement, réclame un financement accru des collèges religieux, fait de la corrida, de la chasse des signes identitaires, cultive la nostalgie de la Reconquista... tout pour plaire... à 10 % de l'électorat espagnol.

"Il n'y a plus de Pyrénées", proclamait le communiste André Wurmser en appelant à la solidarité avec la République espagnole après le déclenchement de la Guerre d'Espagne par le pronunciamiento franquiste. Mais de quoi ont-elle jamais préservé l'Espagne et l'Europe (la France) l'une de l'autre ? L'Espagne se croyait immunisée contre le fascisme par une guerre civile, Guernica et 40 ans de franquisme, elle se trompait -mais l'Italie n'a pas non plus été longtemps immunisée contre la renaissance du fascisme, ni l'Allemagne préservée des nostalgies nazies. Et on peut douter que la Russie le soit de celles staliniennes ou la Chine de celles maoïstes.

"Voici neuf ans que les gens de ma génération ont l'Espagne au coeur", confiait Albert Camus, en 1945. Notre génération, qui avait une vingtaine d'années à la mort de Franco, et avait donc eu le temps de manifester contre les dernières exécutions ordonnées par son régime, et même, pour quelques uns, de s'engager aux côtés de celles et ceux qui luttaient contre lui, a aussi une Espagne au cœur : celle qui, hier, a donné une possible majorité de gauche au parlement : il n'en est guère d'autre que l'on puisse saluer en Europe...





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